Sur les traces de Vincent John Reese

Le sort d'un aviateur américain après la chute d'un B-17 fin 1943 à Cerfontaine.


Introduction

 

Vincent Reese est né le 13 janvier 1908 à Philadelphia, Philadelphia County, Pennsylvania.

Recruté par l’armée de l’air américaine le 16 novembre 1942. Sergent-mitrailleur de sabord (waist gunner) de la forteresse volante B(oeing) 17-G ‘Woman’s Home Companion’, aussi connu comme ‘Ladies Home Companion’ (360th Bomber Squadron du 303th Bomber Group).

Base aérienne: RAF Molesworth, Cambridgeshire, Angleterre.

 

Le B17-G (photo) avec lequel Vincent Reese et ses collègues volent est arrivé à Molesworth le 18 octobre 1943. Il est surnommé ‘Woman’s Home Companion’, vraisemblablement une allusion au magazine américain du même nom. Sur la couverture de novembre 1943 on trouve un ‘wishbone’, un bréchet, censé apporter le bonheur.

 

Woman’s Home Companion de novembre 1943.

 

Le magazine couvrait la guerre avec des correspondants en Europe et soutenait des activités domestiques telles que les jardins de guerre et la mise en conserve à la maison. (les jardins de la victoire, aussi appelé jardin de la guerre ou potager pour la défense, étaient des jardins de légumes, de fruits et de plantes aromatiques plantés dans des propriétés privées et dans des parcs publics aux États-Unis, au Royaume Uni, au Canada et en Allemagne pendant la Première et la Seconde Guerre Mondiale, afin de réduire la pression exercée par l’effort de guerre sur l’approvisionnement en nourriture de la population. Outre l’apport indirect à l’effort de guerre, ces potagers étaient également considérés comme un stimulant du moral des civils - en ce sens que ces jardiniers pouvaient se sentir essentiels par leur contribution au travail et récompensés par le fruit de leurs cultures. Cela a permis aux jardins de la victoire de faire partie de la vie quotidienne à la maison.)

 

L’ équipage du B17-G Women’s Home Companion

 

L’équipage de la forteresse volante se compose de dix hommes.

 

 Debout, de gauche à droite : William C. Osborn, Jack Jernigan Jr., William Ross (qui ne faisait pas partie du dernier vol – remplacé par Edward Cobb), Nelson Campbell.

Accroupis, de gauche à droite : William E . Wolff, Earl D. Wolfe, George L. Daniel, Vincent J. Reese, Lyle W. Fitzgerald, Lawrence B. Evans.(Photo : 303rd Bomb Group website : http://www.303rdbg.com/360osborn.html)

Pour les fonctions des aviateurs, voir : le sort des autres aviateurs.

 

Chute à Cerfontaine  

 

30 décembre 1943 : quelle horreur ! Quelle panique !

La forteresse volante américaine B17-G, appelée ‘Woman’s Home Companion’ fait partie d’un groupe de bombardement de 710 avions, qui a pour mission d’attaquer l’usine I.G. Farbenindustrie (industries chimiques) à Ludwigshafen, près du Rhin en Allemagne. Elle part vers 11h25 à Molesworth avec une vitesse d’environ 480 km/heure et 8 tonnes de bombes.

À son retour, après avoir été touchée par la Flak (Fliegerabwehrkanone), canon antiaérien allemand, trois chasseurs Messerschmitt, venant de la base aérienne de Florennes, construite par les Allemands en 1942, se sont lancés aux trousses de ‘Woman’s Home Companion’, qui se trouve totalement isolé à cause d’un ciel fort nuageux. Une fusée bloque le quadrimoteur du B17-G, qui ne peut plus continuer sa route vers l’Angleterre et sa base à Molesworth.

 

Pendant la mission du 30 décembre 1943 pas moins que 42 avions alliés sont abattus, avec leurs équipages, évidemment !

 

Vers midi le B17-G s’écrase alors sur les hauteurs de Cerfontaine, à peu près où, aujourd’hui, se trouve l’Aérodrome de Cerfontaine.  La queue de l’avion s’est détachée et le mitrailleur arrière est tué. Trois hommes de l’équipage sont blessés et les six autres s’enfuient immédiatement vers le bois, environ 50 m. de l’avion écrasé, car ils pensent encore se trouver en Allemagne. C’est là où les survivants perdent toutes traces du sergent-mitrailleur Vincent Reese, le héros de cette histoire.

 

Le jour même de la chute du B17 à Cerfontaine. (Merci à André Lépine)

 

Le sort des autres aviateurs

 

- Lawrence Brooks Evans (27 ans, sergent/mitrailleur arrière). Tué en vol. Enterré à Florenne-Juzaine par les Allemands, après la libération  à Neuville-en-Condroz. Corps ramené plus tard aux États-Unis.

- Lyle Winston Fitzgerald (20, sergent/mitrailleur de la tourelle) de Ellard, VA. Blessé mortellement en vol, décédé au sol. Enterré à Florenne-Juzaine par les Allemands, après la libération à Neuville-en-Condroz. Corps ramené plus tard aux États-Unis.

- George L Daniel (21 ans, sergent chef/opérateur radio) de Southbridge, Mass. Blessé, puis opéré à l’hôpital militaire de Bruxelles. Interné en Lituanie et Pologne aux stalags Luft IV et VI. Libéré et rentré aux États-Unis.

- Earl D. Wolfe (29 ans, sergent/second mitrailleur de sabord). Blessé. Après être opéré à l’hôpital militaire de Bruxelles. Interné en Lituanie et Pologne aux stalags Luft IV et VI. Libéré et retourné aux États-Unis.

- William C. Osborn (26 ans – 1er lieutenant/pilote) de Mt Gilead, Ohio.Receuilli par EVA, organisation d’évasion du Front de l’Indépendance de Schaerbeek. Ligne infiltré par un agent double. Incarcéré dans la prison d’Anvers, déclaré prisonnier de guerre et transféré dans le camp Stalag 7A Moosburg à Bavaria.

- Jack Jernigan Jr. (27 ans – second lieutenant/copilote) de Tulsa, Oklahoma. Recueilli par EVA, organisation d’évasion du Front de l’Indépendance de Schaerbeek. Ligne infiltré par un agent double. Incarcéré dans la prison d’Anvers, déclaré prisonnier de guerre et transféré dans le camp Stalag Luft 3 Sagan-Silesia à Bavaria.

- William E. Wolff (23 ans, sergent/mitrailleur de la tourelle supérieure) de Bathania, Caroline du Nord. Recueilli par EVA, organisation d’évasion du Front de l’Indépendance de Schaerbeek. Remis au Réseau Comète et échappe ainsi vers l’Angleterre le 21 mai 1944.

- Nelson Campbell (22 ans – bombardier, second lieutenant/bombardier) de Richmond, Virginia. Recueilli par EVA, organisation d’évasion du Front de l’Indépendance de Schaerbeek.. Rentré en Angleterre grâce à l’aide de la Résistance le 26 mai 1944.

- Edward L. Cobb (22 ans – 1er lieutenant/navigateur) de Cincinnati, Ohio. Recueilli par EVA, organisation d’évasion du Front de l’Indépendance de Schaerbeek. Ligne infiltré par un agent double. Prisonnier de guerre.

 

Le mémorial près de l’aérodrome de Cerfontaine (Copyright : Frans Van Humbeek) (http://www.luchtvaarterfgoed.be/content/monument-bemanning-b-17-womens-home-companion-42-39795-pu-e)

 

Et Vincent Reese ?

 

Le sergent Vincent Reese, de profession graveur avant d’être recruté par l’Airforce, se retrouve seul dans le bois jusqu’à ce qu’il soit récupéré le jour même par des travailleurs de Julien Lehouck, qui a ordonné à ses hommes de localiser et d’aider les fuyards avant que les Allemands ne les arrêtent. Julien Lehouck, industriel et ancien bourgmestre de Senzeilles, qui travaille pour la résistance, l’héberge dans son château à Senzeilles. Ensuite Reese est dirigé vers le Maquis de Neuville-Senzeilles. Il retourne au château de temps en temps pour y passer les week-ends.

 

Catholique convaincu, Reese demande d’assister à la messe dominicale, où il est remarqué par pas mal de personnes. Quelle imprudence !

Eh oui, le 11 février 1944 Julien Lehouck est arrêté par les Allemands pour aide à des réfractaires. Tous les résistants de la région sont alors en danger de mort, le sergent Reese inclus.

 

L’épouse de Lehouck se tourne au plus vite vers Joseph Vercheval, chef du Maquis de Neuville-Senzeilles pour expliquer la situation alarmante et pour que Reese s’éloigne au plus vite des maquisards. Pendant quelques jours le sergent est caché à Villers-deux-Églises chez plusieurs personnes. Il y a par exemple Maurice Van Cantfort, l’instituteur du village, qui s’occupe de lui, ainsi que Léon Jauquet, tous deux membres de la résistance. Les deux hommes renseignent Londres au moyen de messages attachés aux pattes de pigeons, qui sont importés de Londres par parachute.

Le chef du Maquis Neuville-Senzeilles, Joseph Vercheval et Maurice Van Cantfort font partie du Groupe G ou Groupe général de sabotage de Belgique, fondé en 1942 par un petit groupe d'anciens étudiants issus de l'université libre de Bruxelles. (Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_G). 

 

Vincent Reese à Chimay

 

Vincent Reese étant en danger Mme Van Cantfort se rend à Chimay pour y rencontrer un membre de la Résistance qui pourrait éventuellement aider le sergent à s’évader et le cacher quelque part ailleurs.

 

Jacques Lalot (historien et chercheur local) : "Le 14 février 1944, André Mairiaux (nom de code : Constant) un agent du service Hotton (dépendant du district de Chimay commandé par Fernand Delporte, ingénieur civil) prend le train en gare de Chimay et se rend à Senzeilles. Il rencontre Vincent Reese et par la ligne 156, ils reviennent à Chimay. A la sortie de la gare, il est très probable qu’ils se soient dirigés vers la ferme Berlot proche de la gare. A. Berlot faisait partie du réseau de résistance, donc un refuge provisoire intéressant.

J’écris ‘il est très probable’ parce que nous n’en avons aucune preuve, mais reconnaissons que c’était la solution la plus sage et la moins dangereuse."

 

Notons que le service Hotton ou le Groupe D du Service de Sabotage Hotton, également issu du même petit groupe d’anciens étudiants de l’université libre de Bruxelles, est fondé en 1943, en accord avec le Ministère de la Défense Nationale Belge à Londres et qui a pour mission la sabotage et l’harcèlement militaire. Fin 1943, le Groupe D se réfugie en Thiérache (région autour de Chimay) et fonde le maquis de Chimay-Mariembourg qui s’installera à différents endroits dans la région, pour finir au Brûly-de-Pesche. (Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_D_du_Service_de_Sabotage_Hotton)

 

Le 16 février, seulement 2 jours plus tard, 1.000 soldats allemands encerclent l’endroit où le Maquis de Neuville-Senzeilles est situé. Les maquisards sont arrêtés et pendus le 25 février au camp de Breendonk (voir notre série : Le Maquis de Neuville-Senzeilles). Vincent Reese s’en est échappé juste à temps.

 

Écusson du Groupe G

Carte d’agent du Service Hotton

(Marc Simal — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=24518414 )


Vincent Reese à Rièzes

 

J. Lalot : "Je ne connais pas le nombre d’heures passées par Reese à la ferme Berlot mais il n’y séjourna que très peu de temps. Il fut confié au Maquis de Rièzes où il rencontra d’autres aviateurs américains abattus en Belgique et aux Pays-Bas".

Joseph Constant, fermier, habite Rièzes, tout près de la frontière française, une bonne douzaine de kilomètres au sud de Chimay. Ces jours-là il s’occupe également du transport clandestin de nourriture pour le camp de Rièzes, des baraques cachées dans le bois, lequel se situe en fait en France, entre les villages de Rièzes et La Neuville-lez-Beaulieu. Ici fin 1943 on y compte entre autres également 30 Russes, évadés des charbonnages du Pays Noir où ils avaient été réquisitionnés et une quinzaine d’aviateurs alliés.

 

Mais tôt le matin du 25 février 1944 les troupes allemandes cernent le petit village. Ils fouillent les maisons à la recherche de maquisards ou de toutes traces d’aide à ceux-ci. Cet événement est connu comme "La rafle de Rièzes".

Joseph Constant essaie d’avertir les hommes du camp mais une balle de fusil l’en empêche.

 

J. Lalot : "Dans le camp c’est la débandade plus ou moins organisée. On fuit dans plusieurs directions :. Algériens, Russes, aviateurs alliés, jeunes échappant au Service de Travail Obligatoire (le STO) s’éparpillent au plus profond de la forêt. Des maquisards parviennent à reformer de petits groupes pour les orienter vers des lieux plus sûrs.

Quant aux aviateurs américains, nous supposons que comme les autres fugitifs, ils vont errer plusieurs heures dans les bois avant d’être secourus."

 

Parmi la population, le bilan est lourd : 45 habitants sont contraints de grimper dans deux camions qui les emmènent dans un camp à Casteau, entre Mons et Soignies, puis à la prison de Saint-Gilles (Bruxelles). De là, quelques-uns sont libérés après 15 jours ou un mois, les autres après trois mois, mais cinq personnes sont transférées en Allemagne comme Esther et Valérie Fosset, deux fermières, chez qui on arrête deux aviateurs américains, ainsi que trois hommes dont Léopold Vereecke, qui ne reviendra pas…  (voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ri%C3%A8zes)

 

J. Lalot : "Avertis de l’attaque du refuge de Rièzes par les Allemands, les hommes de Fernand Delporte, commissaire voyer à Chimay, chef du réseau local de Résistance, tentent de porter secours aux Américains. Ils parviennent à en rassembler une dizaine qu’ils tentent dans la précipitation de cacher dans Chimay. Fernand Delporte se rend à l’évidence, si les Allemands fouillent les maisons de Chimay la ville sera mise à feu et à sang il faut donc trouver dans l’heure un refuge moins risqué."

 

Vincent Reese à Pleumont ?

 

J. Lalot : "Au sud de la ville, les princes de Chimay possèdent un petit bois au milieu duquel trône un beau chalet de chasse. C’est là que se réfugient nos neuf/dix fugitifs.

Quant à Vincent Reese, un point d’interrogation subsiste. Est-il dans les premiers fugitifs secourus par les hommes de Fernand Delporte ou a-t-il rejoint les autres dans le chalet après quelques heures ou peut-être après un ou deux jours ? Nous ne pouvons rien affirmer parce que les témoignages divergent sur cette question.

Nous pouvons donc supposer que c’est à partir du séjour à Pleumont que Reese partagera le sort des autres fugitifs.

Le répit sera de courte durée. Fernand Delporte avait quelques taupes infiltrées dans les services de renseignements allemands et très souvent, il était averti à temps d’opérations organisées par la police allemande. C’est ainsi qu’il apprit que les Allemands avaient l’intention de cerner le Bois de Pleumont le lendemain matin."

 

Vincent Reese (photo reprise avec permission d’André Lépine)

 

Vincent Reese à la ‘Baraque Bébert’

 

J. Lalot : "Le soir venu, les fugitifs sont déplacés en hâte dans un abri de fortune. C’est une petite construction en béton située au Terne des Vaches (lieu-dit) au fond d’une petite vallée. C’est un refuge pour le bétail. Il est appelé la « Baraque Bébert » L’origine du nom reste inconnue.

C’est un endroit très inconfortable, humide, peu spacieux (pour dix personnes) pas d’eau courante et pas de place pour se reposer. C’est l’hiver, il neige, pas de feu possible le jour (la fumée trahirait une présence humaine et les avions de reconnaissance allemands survolent les bois). L’intendance est assurée par Florent Simon un petit fermier de Saint Remy et résistant ainsi que par son ami Fernand Fontaine et quelques autres fermiers proches de l’abri. Malgré les efforts des Belges, les fugitifs souffrent le martyre.

Conscients de cette misérable situation, Florent et Fernand décident d’offrir à leurs protégés un refuge un peu plus confortable."

 

Vincent Reese au Bois de la Champagne

 

J. Lalot : "Dans le bois de La Champagne situé au sud de Saint Remy (commune de Chimay), ils construisent une hutte de branchages dans une petite dépression de la forêt. Cette dénivellation leur permettait de construire un abri mi-enterré. Les bords du toit touchent le sol ce qui rend le refuge presque invisible vu du ciel. À l’intérieur une table trône au centre et le long des parois des couchettes avaient été aménagées permettant aux dix habitants de se reposer. La hutte a les dimensions suivantes : longueur +/- 14 mètres, largeur 5 mètres.»

 

Au total dix Américains vivent alors dans la hutte, tous de plus en plus impatients de s’enfuir pour l’Angleterre, malgré tous les dangers qui les  attendent : la route à travers la France, la traversée des Pyrénées, l’Espagne, vers l’ambassade britannique à Madrid, qui s’occupe ensuite du transport vers Gibraltar, territoire britannique, route entretenue par la Résistance, comme ‘Le Réseau Comète’ avec 3.000 membres, pour produire des faux passeports, trouver de l’hébergement, fournir de la nourriture, guides, ... Ce Réseau Comète était cofondé par Andrée de Jongh, surnommée Dédée, jeune femme belge, née à Schaerbeek en 1916. Après infiltration par les Allemands, Andrée fut capturée début 1943 et enfermée dans des camps de concentration de Ravensbürg et Mauthausen, pour y être libérée par la Croix-Rouge internationale le 22 avril 1945. Elle-même avait escorté un total de 118 aviateurs. En même temps qu’elle plus de mille arrestations sont effectuées, dont 150 pilotes alliés qui avaient rejoint le Réseau Comète pour s’échapper. (Pour savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9e_De_Jongh)

 

Monument au Pic ou Col de Fontfrede, Fontfreda ou Fonfred, Pyrénées. (Photo : Joachim VB)


Il existe encore d’autres lignes vers la liberté, mais extrême prudence et vigilance sont nécessaires. Les réseaux sont aisément infiltrés par les Allemands et la Résistance a eu un grand choc à cause des arrestations dans le Réseau Comète. De temps en temps les aviateurs américains de la hutte au Bois de la Champagne reçoivent un message pour se tenir prêt, mais chaque fois l’action est annulée.

 

J. Lalot : "Le refuge quoique bien dissimulé présentait deux inconvénients majeurs ; un nombre trop important d’évadés qu’il fallait aider et un séjour trop long au même endroit, les chaînes d’évasion étant interrompues."

 

Deux Américains n’en peuvent plus. Début avril 1944, Ivan Glaze (26, d’Indianapolis, Indiana) et Warren Cole (22, d’Illinois), deux aviateurs du B17 ‘Rationed Passion’, tombé le 11 janvier à Heegejanskamp, près de Nijverdal (près d’Almelo) aux Pays-Bas, décident de s’en aller.

J. Lalot : "Avec l’aide de filières d’évasion, ils gagnent Gibraltar (+/- trois mois d’errance). ‘We were very lucky’ (nous avons été très chanceux) m’a affirmé Waren Cole, l’un des deux échappés de la hutte."

Ils rentrent en Angleterre le 28 juin 1944.

 

Les autres décident encore d’attendre et sont désormais accompagnés par Henri Fontaine, le fils de Fernand, qui se sent plus en sécurité dans la hutte que chez ses parents.

 

Vivent alors à la cabane au Bois de Champagne à Saint Remy début avril 1944, après le départ de Glaze et Cole :

- Henri Fontaine, civil, 24

- Vincent Reese, 36

- Billy Huish, 25, de Douglas Arizona, aviateur du B17 ‘Skunkface’, tombé près de la gare de Lens, une dizaine de km. au nord de Mons

- John Pindroch, 19, de Cleveland, Ohio, aviateur du B17 ‘Susan Ruth’, tombé à La Maquenoise, près de Momignies

- Robert Benninger, 20, de Pittsburgh, Philadelphie, aviateur du B17 ‘Susan Ruth’

- George Eike, 24, de Rochester, New York, aviateur du B17 ‘Susan Ruth’

- John Gembrowski, 24, de Chicago, Illinois, aviateur du B17 ‘Rationed Passion’

- Orian Owens, 29, de Lisbon, Iowa, aviateur du B-17 ‘Rationed Passion’

- Charles Nichols, 28, de Stockton, Californie, aviateur du B17 ‘Rationed Passion’

 

J. Lalot : "L’atmosphère dans l’abri est parfois ‘électrique’. L’ennui, le confinement, un confort tout relatif, les espoirs souvent déçus d’une possible réouverture de la ligne d’évasion et aussi de profondes divergences idéologiques opposent. Reese, Pindroch et Huish. Les premiers sont de fervents catholiques et Huish est de confession luthérienne d’où de sérieuses joutes oratoires entre les trois évadés. Si je connais ces détails (et encore bien d’autres) c’est parce qu’en 1999 j’ai rencontré Warren Cole, un des deux aviateurs qui avaient quitté la hutte avant l’attaque. Il m’a décrit les lieux avec grande précision et aussi la vie quotidienne dans la hutte. Il était le seul témoin encore en vie de cette tragédie."

 

Le drame

 

J. Lalot : " Malgré les précautions prises par les pourvoyeurs de la hutte, la présence de fugitifs dans le bois alimente les conversations dans les chaumières. De bonnes âmes se chargent d’en avertir les Allemands qui depuis quelque temps, soupçonnent des activités douteuses au sud de Saint Remy."

 

Les informateurs se sentent bien soutenus par les autorités belges locales : les bourgmestres de Chimay et de la ville avoisinante Couvin (comme celui de Senzeilles où habitait Julien Lehouck) sont tous rexistes. Le parti politique Rex,  parti d’extrême droite, nationaliste et antibolchevique de Belgique se tournait vers le fascisme italien, le phalangisme en Espagne et après 1941 vers le nazisme.

 

Personne ne sait – même pas Fernand Delporte qui a pourtant quelques taupes infiltrées dans les services de renseignements allemands - que le 19 avril 1944 à Charleroi au siège principal de la police, une réunion présidée par Charles Lambinon, chef du Département de Sécurité et d’Information (DSI),  une sorte de Gestapo belge créée en 1943 dans le sein du parti de Rex, se tient en compagnie de Jacques Derby, chef du DSI de Charleroi (aussi connu comme la Brigade B ou la police Merlot - du nom de l'échevin du Grand Charleroi Henri Merlot, responsable de la section Sécurité et Information de la ville) et de trois officiers allemands. Ils discutent le sort des aviateurs américains et des gens qui les aident.

 

Quelques jours après, le 22 avril à 5h du matin des soldats arrivent à Saint Remy. Les lignes de téléphone sont coupées, donc pas moyen d’avertir les aviateurs américains. Ce jour-là pas moins que 1.500 hommes armés cernent Chimay et les villages de Bourlers, Rièzes et Saint Remy. Font partie des forces militaires : les unités du SDI de Bruxelles (la Brigade Z), de Charleroi (la Brigade B) et de Mons (la Brigade F), la troisième compagnie des Gardes Wallonnes, également créée par le parti rexiste (en 1941), commandées par le capitaine Marcel Jaye, la Gestapo allemand, la Feldgendarmerie, police militaire allemande, et deux compagnies de soldats russes de l’Armée de libération russe, également connu sous le nom de l’armée Vlassov, collaborateurs du nazisme contre le régime bolchevique.

 

Plus de trente civils sont arrêtés ce jour-là, emportés en camions et interrogés à l’École communale de Chimay. Certains sont alors déportés à la prison de Mons pour être envoyés plus tard vers des camps de concentration. Heureusement, dans le chaos de la retraite des troupes allemandes ceux-ci ont pu s’évader et rentrer à la maison.

 


À la hutte les huit aviateurs, ainsi qu’Henri Fontaine et Florent Simon, également à la hutte cette nuit-là, se lèvent vers 6h du matin. Billy Huish et Henri se dirigent alors vers la maison des parents d’Henri pour aller chercher le petit déjeuner. Ils reviennent vers 7h30.

Vers 8h Florent sort pour un besoin naturel, environ 100 m. de la hutte. Il entend des Allemands crier et des coups de feu.

Florent Simon : "Je commence à retourner au camp lorsque quelqu'un tire sur moi. Je me suis caché derrière un arbre et je m’enfuis dans les bois. Alors j’entends des explosions de grenades" (Steve Snyder, ‘Shot Down’, p. 254). Florent Simon trouvera refuge dans un maquis français jusqu’à la libération fin août, début septembre.

 

Quant aux autres, les huit Américains et Henri Fontaine sont tous arrêtés et également emmenés à l’École communale de Chimay, siège de la Gestapo locale.

Au deuxième étage de l’école les Allemands confisquent les faux papiers et les plaques d’identité militaire des Américains. Ils les dépouillent de tous leurs vêtements à l’exception de leurs sous-vêtements. Les Allemands ont aussi pris leurs montres, mais pas leurs alliances.

 

Pendant deux ou trois heures les interrogations continuent. Dans le début de l’après-midi, les Américains sont renvoyés en camion vers le Bois de la Champagne.

Le camion s'arrête près du petit chemin d'entrée vers la hutte. Les Américains sont contraints de sortir du camion et sont conduits dans le bois, sur le chemin. Alors chaque aviateur est dirigé vers une direction différente, derrière lui deux gardes de la Feldgendermerie.

Le capitaine Benner de la Feldgendarmerie crie : "Sie wissen bescheidt !" ("vous savez quoi faire !") Chaque aviateur reçoit alors trois ou quatre balles dans le dos. Tous morts. Les Allemands partent et laissent les corps dans le bois.

 

Le lendemain, les Allemands sont de retour, chargent les corps dans un camion, et les  emmènent vers une zone près de l'aéroport de Gosselies, où ils sont enterrés dans une fosse commune. 

L’aéroport de Gosselies fut en 1940 la première base de la Luftwaffe dans la région. (Aujourd’hui : l’aéroport de Charleroi-Bruxelles Sud.)

 

Les Allemands ne traitent donc pas les aviateurs comme des prisonniers de guerre, comme ils devraient le faire selon la Convention de La Haye de 1907 et la Convention de Genève de 1929. Les aviateurs américains devraient être envoyés dans un camp de prisonniers pour la Luftwaffe. Par contre ils sont traités comme des terroristes et exécutés sur place, peut-être parce que les Allemands avaient trouvé quelques armes dans la hutte. Mais quel soldat ne porte pas d’armes ?

 

Quant au jeune Henri Fontaine, il est transporté à la prison de Saint-Gilles en compagnie de Joseph Simon, le fils de Florent, qui pouvait s’enfuir, et ensuite vers les camps de concentrations de Buchenwald et de Dachau. Joseph Simon est tué lors d’un bombardement des avions alliés à Koblenz, où il doit réparer des voies ferrées. On ne saura probablement jamais ce qu’il est advenu d’Henri Fontaine.

 

Le monument à Saint Remy (photo : merci à J. Lalot)

 

Margraten

 

Après la guerre, en avril 1945, les autorités belges essaient d’identifier systématiquement les morts enterrés et donc aussi les corps dans la fosse commune près de l’aéroport de Charleroi. On y trouve des corps avec des uniformes militaires américains. C’est alors qu’est intervenu le U.S. military police et le Graves Registration Service, chargé de la récupération, de l'identification, du transport et de l'inhumation des militaires américains morts. Les corps des aviateurs américains sont identifiés, celui de Vincent Reese inclus. On les emmène et on les enterre de nouveau au cimetière américain de Margraten aux Pays-bas, 10 km de Maastricht.

8301 soldats américains y reposent.

 

La tombe de Vincent Reese à Margraten (photo : Steve Snyder)



Annexe

 

Rapport secret de la chute du B-17 ‘Women’s Home Compagnon’ (document : merci à Steve Snyder)

 



Sources :

 

- 30.XII.1943. La chute d’un B-17 à Cerfontaine, par André Lépine et Roger Anthoine (Cahier Cerfontainois N°19, 1993).

- Emails avec Jacques Lalot, octobre 2018.

- Shot Down : The True Story of Pilot Howard Snyder,  par Steve Snyder (Sea Breeze Publishing, LLC, Seal Beach, CA, 2015).

- Fields of Honor database : https://www.fieldsofhonor-database.com/index.php/nl/american-war-cemetery-margraten-r/43961-reese-vincent-j).

- 303rd Bomb Group website : http://www.303rdbg.com/360osborn.html.

- Aircrew Remembered website : http://aircrewremembered.com/osborn-william.html.

- Emails avec Louis Behiels, octobre 2018.

Texte : André Van Bosbeke - Correction : Valérie Stucker