Interview Renaud Patigny

(22 mars 2017)


"Et si Beethoven et Chopin s’étaient promenés dans les bars du Chicago des années 30 ?" Voilà la question qui occupait Renaud Patigny, pianiste et le spécialiste belge du boogie-woogie et du ragtime. Renaud Patigny compte à son actif plus de 1.000 galas et concerts, en Belgique, Allemagne, France, Suisse, Hollande, Angleterre, Espagne, Suède, Danemark, et USA. Il a joué et il joue avec des musiciens parmi les plus grands de boogie-woogie, de blues et de jazz du monde. En plus il est l’organisateur du Festival International de Piano Blues et Boogie en Belgique et directeur artistique de deux festivals en France.

 

La réponse sera donnée le samedi 15 avril prochain à Nismes, Centre Culturel Action-Sud (voir : Agenda des Activités).

Renaud Patigny y sera accompagné par Renaud Crols (°1983, Libramont), violoniste extraordinaire, et le pianiste Pierre-Alain Volondat (°1962, Vouzon, FR), virtuose international, Premier Prix du Concours Reine Elisabeth de piano en 1983, à 20 ans.

 

À l’occasion de cet événement unique, voici notre interview avec le maestro du boogie-woogie : Renaud Patigny.

 

- Bonjour Renaud. Tout d’abord, un grand merci pour nous accorder cette interview. Commençons par le début : vous êtes né où, dans quelle année ? Où habitez-vous actuellement ?

RP - Né à Bruxelles en 1959, à l’hôpital St pierre, rue Haute donc dans le quartier de la Marolle, dans la même rue que Toots Thielemans, et j’habite actuellement à Anderlecht, donc toujours dans une des communes de Bruxelles.

 

- Avec Zanzibar, vous cherchez les roots africains du boogie-woogie. Les Sonates boogie, c’est une fusion de boogie-woogie et la musique classique européenne.

Est-ce une rencontre avec vos propres roots ?

RP - Les racines africaines, ça m’est venu assez naturellement du fait que presque tous les héros de mon enfance (Pete Johnson, Duke Ellington, Bessie Smith, Erroll Garner, etc etc) sont d’origine africaine.

Le mélange avec la musique classique, là ce sont mes propres origines qui sont en jeu, d’autant plus que je suis né dans une famille de musiciens classiques (ma mère organiste – pianiste, mon père altiste, ma tante harpiste, ma sœur cantatrice …).

Somme toute une démarche assez logique de retour aux sources et de métissage de mes propres sources avec celles des musique qui me font vibrer.

 

- Racontez-nous comment vous avez écrit les compositions pour les Sonates boogie ? Qu’avez-vous dans la tête ?

RP - Les Sonates boogie c’est très difficile car les deux styles sont fort différents.

Donc j’ai du faire un gros efforts pour arriver à concilier ces deux mondes tellement éloignés.

J’ai tout simplement essayé de faire chanter dans ma tête des mélodies, des improvistions s’apparentant aux deux genres à la fois.

 

- Comment le trio a été composé ? Connaissez-vous Pierre-Alain Volondat d’autres projets ? Pourquoi le piano de Volondat. Pourquoi le violon de Renaud Crols? Comment ces musiciens ont-ils réagi ?

RP – Pierre-Alain je l’avais entendu et vu s’exprimer à la télé dans une émission culturelle sur RTL TVI, et ça m’est toujours resté dans un coin de ma tête : cet homme a quelque chose d’un rebelle, il est un peu fou, et voue une passion à Louis de Funès, autant de points communs qui m’ont donné à penser qu’il pourrait être intéressé à venir se produire sur la scène du festival de boogie de Bruxelles, que j’organise depuis 2001, pour les 10 ans du festival.

Je ne me suis pas trompé, il a accepté et ce fut le début d’une belle amitié.

Quant à Renaud Crols c’est Pierre Boquet, un ami qui habite à Anderlecht qui me l’a chaudement recommandé ; lui aussi est venu brûler les planches de mon festival avant de me rejoindre pour d’autres aventures dans des concerts en duo.

Pierre ne s’était pas trompé !! Renaud Crols est un musicien exceptionnel, une future grande pointure internationale.

Très vite ils ont tous deux réagi positivement à l’idée de ce projet.

 

- Le boogie-woogie : cela veut aussi dire improviser. Comment réagit un musicien de formation classique comme Volondat ? Y a-t-il beaucoup d’interactions sur scène ?

RP – Pierre-Alain n’est pas seulement un musicien qui joue avec ses yeux dans les partitions, il a une oreille extraordinairement développée, petit à petit au fur et à mesure de l’assimilation en profondeur de ce style, il s’enhardit et se risque dans des impros de boogie.

 

- Peut-on s’attendre à un CD bientôt ? Un live CD ?

RP - Oui, c’est ce que j’espère pouvoir réaliser, je cherche encore un label sérieux pour produire, mais si je ne trouve pas je produirai moi – même.

Dans ce pays on m’a déjà tellement habitué à presque tout faire moi – même !!!

 

Boogie Sonatas - De gauche à droite : Pierre-Alain Volondat, Renaud Patigny et Renaud Crols

 

- D’où vient votre intérêt dans la musique boogie-woogie ?

RP - C’est un style d’une énergie festive, conviviale phénoménale, de plus le boogie par ses rythmes répétitifs hypnotise et envoûte les auditeurs.

 

- Qu’est-ce le boogie-woogie pour vous ?

RP - Un des plus beaux moyens de célébrer la vie.

 

Qui étaient et qui sont vos exemples ?

RP - En musique Pete Johnson, Erroll Garner, Duke Ellington, Jelly Roll Morton, Bix Beiderbecke, mais aussi encore plein d’autres ………

En – dehors de la musique : Nelson Mandela, Martin Luther King, le président Allende, Gandhi, Abie Nathan et the Voice Of Peace, Wangari Maathai, etc etc etc.

 

- Comment avez-vous vous appris à jouer du piano ? D’autres instruments ?

RP - En autodidacte, j’ai passé des jours et des nuits à travailler ma main gauche sur des vieux pianos déglingués.

J’ai un peu touché de la trompette, de l’harmonica, de la batterie, le chant.

Mais rien de bien sérieux dans tout ça.

 

- La musique boogie-woogie n’est pas vraiment commerciale. Vous en êtes un ambassadeur en Belgique en dehors. Comment survivre d’un tel genre ‘marginal’ ?

RP - C’est très difficile ; heureusement je suis bâti pour le combat, mais c’est vrai qu’à la longue ça fatigue, surtout qu’à part plusieurs exceptions, le monde des décideurs de la culture en Belgique n’y comprennent rien et ne s’y intéressent pas du tout.

Heureusement en France j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont permis de survivre vaille que vaille en me nommant directeur artistique de deux festivals.

 

- Y a-t-il assez de l’intérêt en Belgique et dans les autres pays d’Europe ?

RP - NON !!! il n’y a pas d’intérêt en Belgique, le milieu de la musique y étant focalisé en grande majorité sur le pop – rock ou le jazz contemporain.

Heureusement je ne parle pas du public belge car je n’ai pas de problème avec ce public qui lui est super ; le problème vient de ceux qui devraient faire le lien entre les artistes et le public.

Dans leur grande majorité ils ont une attitude parfaitement lamentable.

Heureusement il reste quand même une minorité qui permet de réaliser des choses.

 

Zanzibar - De gauche à droite : Geneviève Dartevelle, Kankan Bayo, Désiré Ntemere et Renaud Patigny.

 

- Y a-t-il actuellement d’autres projets innovatifs que les vôtres dans le boogie-woogie ?

RP - C’est plutôt rare, ce style étant surtout pratiqué dans une optique traditionnaliste.

Mais ça existe quand même : il y a en France Fabrice Eulry qui compose du boogie moderne, en Espagne Lluis Coloma, j’ai aussi vu Jean – Paul Amouroux en France se produire sur scène avec des musiciens africains.

 

- Vous faites aussi des transcriptions de chefs d’oeuvres des origines du jazz et du blues d’après des 78 tours. C’est la conservation de la patrimoine culturelle. Pour usage personnel ? Vous devez posséder une collection énorme ?

RP - Oui c’est pour usage personnel mais je devrais depuis longtemps les publier ; faudra un jour que je me mette sérieusement à la recherche d’un éditeur sérieux.

Une collection énorme est beaucoup dire, n’éxagérons rien, mais oui j’ai une jolie collection, peut être une 50aine de piano solos, et une 30aine d’arrangement pour orchestre.

 

- Pouvez-vous nous raconter une anecdote concernant les Sonates Boogie ?

RP - Sur scène nous sommes parfois fous, déjantés, à un moment donné, dans un endroit plutôt dédié à des soirées musicales plus sérieuses nous nous sommes brusquement mis à imiter des hurlements de loups … et puis toute la salle a suivi !!! avant d’entamer un immense fou rire général !!!

Quand on ne le connaît pas, et dans un environnement plus classique, Pierre – Alain peut donner l’impression de quelqu’un de froid, distant, guindé.

Mais c’est mal le connaître, cette timidité cache un autre homme, il est en réalité tout à l’opposé, quelqu’un de fougueux, plein d’humour, et très affectueux.

 

- Y a-t-il d’autres projets-idées dans le futur ?

RP - Il y a SURTOUT d’autres projets : je suis un homme à projets !!!

Je voudrais créer un  méga évènement qui touche non seulement à la musique mais aussi à la politique, à l’écologie, je voudrais fonder une nouvelle radio, écrire deux livres, produire un grand concert dédié à Erroll Garner, etc etc etc.

 

- Si vous deviez choisir –disons- cinq à dix CDs/LPs/78 T ... de toute l’histoire de la musique, lesquels seraient vos favoris ?

RP - les duos Ammons – Johnson de 1941

- les enregistrements de Bessie Smith (problème : ça en fait beaucoup mais il faut tous les prendre)

- Tout Erroll Garner

- Les enregistrements de Bix Beiderbecke

- Les enregistrements de Jelly Roll Morton

- les enregistrements de l’orchestre d’Ellington, principalement ceux des années ‘20

- Carole King « Tapestry »

- Stanley Cowell « Equipoise »

 

- Dernière question : un rêve ? Un souhait ?

RP - Mon rêve est de réussir à convaincre un salaud d’arrêter d’être un salaud.

Et là c’est pas le choix qui manque hélas (Trump, Assad, Erdogan, le PDG de Monsanto, Poutine, Bart De Wever, Theo Franken, Marine Le Pen, Nigel Farrage, Geert Wilders, Duterte, Netanyahu, Kim Jong Un, etc etc etc la liste est gigantesque).

Je crois que ce souhait est totalement utopique, néanmoins ça ne coûte rien d‘essayer, on ne sait jamais …

Discographie

 

1987 "Nunusse" 45 T en autoproduction de mon groupe le "Squeeze Me Jazzband" orchestre de 7 musiciens avec ma soeur au chant (Amaryllis Grégoire) et mon frère (Tristant Patigny) à la batterie enregistré à Flagey du temps où s'y trouvait la "RTB"

 

1992 "Salute to Uncle Bijou" CD paru chez Aurophon (Allemagne), le Squeeze Me Jazzband en quintette (sans mon frère et ma soeur), une série de compositions personnelles dans un style de "néo années '20"

 

1997 "Tritons Dance" CD en autoproduction avec des piano solos et des trios, des musiciens tous différents et enregistré dans des studios différents, un peu comme une mosaïque, des impros et des compositions personnelles de "néo boogie"

 



1998 "Renaud Patigny Live '98" CD  en autoproduction, enregistré en concert à Paris dans deux jazzclub légendaires, le Caveau de la Huchette et le Slow Club, le tout en trio avec Francis Dela Blancherie à la guitare basse et Robert Cordier à la batterie.

 

2000 "Tribute to the Giants" CD en autoproduction en piano solo avec en exception deux ou 3 boogies comportant un ou l'autre accompagnateur (Fabien Degryze à la guitare, Bruno Castellucci à la batterie, Bob Dartsch à la batterie, Marc Hérouet au piano).

 

2002 "The Boogie Brothers Live" CD en autoproduction en trio avec Carl Sonny Leyland au 2e piano et Bob Dartsch à la batterie.

 



2006 "Still Boogyin' " CD en autoproduction avec mon groupe les "Blue Devils" en septette, une série de composition boogie avec Christine Jones (USA) au chant.

 

2008 "Piano Killers" CD produit par Fabrice Eulry, trio de pianistes avec moi, Fabrice et Ricky Nye (Cincinnati USA)

 

Une série d'impros très intéressantes, en solo, duo, trio de piano, sur le grand piano de concert de Fabrice.