Les Jeux Olympiques : une interview avec Monique Backès

publié 18 août 2016


Les Jeux Olympiques ! C’est le rêve de vie de toutes athlètes ou entraineurs. C’est de la magie !

Chez nous, à La Forêt, habite une personne qui en a participé même deux fois ! Toute La Forêt la connaît : notre secrétaire Monique Backès.

À l’occasion des Jeux Olympiques de Rio, voici par conséquent une interview avec Monique.

 

- Vous étiez deux fois aux JO. Racontez-nous quelles étaient vos responsabilités et dans quelles disciplines?

 

MB : J'étais aux J.O. de LOS ANGELES en 1984 et ceux de SEOUL en 1988.

C'est à Los Angeles que le sport duquel je m'occupais : "la Gymnastique rythmique" était pour la 1ère fois aux J.O..

Photo : Séoul 1988. "Attente avant cérémonie d'ouverture."

 

A l'époque j'étais entraîneur national (Flamands et Francophones confondus).

Mes gymnastes de l'époque qui auraient pu se sélectionner n'avaient que 15 ans lors des sélections internationales au championnat du monde (C.M.) de Strasbourg en 1983 et n'avaient encore que peu d'expérience de telles compétitions. Pour elles c'était un 1er C.M.

Deux gymnastes flamandes et une francophone (ma fille de 15 ans) participaient à ce C.M. La Fédération internationale (F.I.G.) nous octroya 1 place pour les J.O. de L.A. Il fallait, pour avoir au moins une place, être classée parmi les 50 premières. (Au C.M. il y a environ 150 gymnastes) En principe c'était celle qui avait le plus de points qui aurait dû participer. Mais notre Comité Olympique Belge (C.O.I.B.) ne se satisfait pas de la sélection obtenue par la F.I.G. et retint provisoirement les 2 gymnastes flamandes dont les points étaient très proches. Pour les sélectionner définitivement ils imposèrent 3 compétitions internationales de haut niveau où celle qui obtiendrait la note de 36,80/40 (ce qui est très
haut) serait définitivement sélectionnée. Situation fort stressante pour ces 2 gymnastes. C'est lors de la 3e compétition internationale que l'une d'elles obtint enfin son ticket pour L.A. Je ne pensais pas partir puisqu'il s'agissait d'une gymnaste flamande, mais comme je l'entraînais tous les W.E. et pour chaque compétition et que je les avais coachées pour obtenir enfin cette sélection, c'est moi qui fut désignée.

 

Pour les J.O. de Séoul c'est une de mes gymnastes que j'entraînais depuis l'âge de 7 ans qui fut sélectionnée par la F.I.G. lors du C.M. de Varna en 1987. Une fois de plus notre C.O.I.B.  imposa 3 compétitions internationales pour obtenir la note de 36,80/40. Elle l'avait déjà obtenue et c'est sans problème qu'elle renouvela cet exploit lors de son premier tournoi. Notre C.O.I.B. la sélectionna directement, mais elle participa tout de même aux 2 autres tournois où elle obtint chaque fois le minima requis par notre C.O.I.B. Tout naturellement je fus désignée comme entraîneur.

 

Voilà pour notre parcours pour arriver à monter dans l'avion qui s'envolait vers les J.O.

 

Il m'est difficile de décrire en quelques lignes ce que l'on ressent déjà au moment de la sélection définitive. C'est  comme un rêve qui devient réalité. Tout le club, notre famille, nos proches vibrent en même temps.

       Photos :  "Avec nos amis canadiens et tous les drapeaux

autour du podium. Symbole: au revoir dans 4 ans."

- Los Angeles/ Séoul : deux mondes différents. Avez-vous vécu cette différence? C'était quoi la différence? 

 

MB : Bien sûr entre L.A. et Séoul, question de lieu, c'était très différent. A L.A. nous étions tous logés à U.C.L.A. (Université de L.A.) C'était immense. et notre délégation y occupait 2 étages.

A Séoul un village avait été construit  pour l'occasion et la Belgique y occupait toute une maison dont les nouveaux appartements avaient déjà tous été vendus et seraient donc occupés dès la fin des jeux. 

Bien sûr L.A. et Séoul sont 2 mondes tout à fait différents.

Comme vous pouvez l'imaginer un Américain et un Asiatique sont loin de se ressembler, mais une chose les réunissait à coup sûr : l'enthousiasme déclenché par les J.O. dans leur pays. 

Petit exemple de la différence de mentalité :

 À L.A.  alors que je partais faire un tour en ville avec ma gymnaste et une jeune nageuse, en descendant de notre immeuble jusqu'à la sortie du site universitaire, je reçois une affiche énorme sur les activités proposées sur le site de U.C.L.A. (j'en avais déjà et cela m'encombrait plus qu'autre chose, mais par politesse je l'ai acceptée). A la sortie du site on était bien entendu assaillis par tous les fans des J.O. et l'un d'eux me demanda ce que j'avais sous le bras. Je lui montrai mon affiche et il me proposa 10 $ pour l'avoir. Je tentai de lui expliquer que je l'avais reçue, mais il ne comprenait pas et voulut absolument me la payer. Vu qu'à l'époque le $ valait 60 F.B. j'ai fini par accepter et...avec ma gymnaste et la nageuse je retournai en chercher d'autres qui prirent toutes le même chemin. Ce sont donc les Américains qui payèrent nos achats ce jour-là et, comme tout était très cher....

Par contre à Séoul, lorsqu'on allait dans la vieille ville tout était très bon marché et nous étions assaillis également par tous les fans mais...pour que NOUS achetions tous leurs produits locaux. Comme tout était très bon marché, on ne se privait pas. Certains de nos participants Belges ont dû s'acheter une autre valise pour y mettre tous leurs achats !

 

- Comment était-ce pour trouver son chemin dans un village JO parmi des milliers de gens, athlètes, officiels? C'était quelle sensation? 

 

MB : Comment s'y retrouver dans les villages Olympiques ? Tout est parfaitement indiqué et, en cas de problème il y a partout des bénévoles pour nous aider.

 

Bien sûr nous devions nous occuper de nos entraînements. Nous en avions 2/jour et nous participions à la fin des jeux, car, avant nous, dans le même hall des sports, il y avait d'abord la compétition de gymnastique artistique. Nous n'avons eu droit qu'à un seul entraînement dans le hall de compétition. Les autres entraînements se déroulaient dans d'autres salles et nous avions toujours un mini bus pour nous y conduire. Que ce soit à L.A. ou à Séoul tout était fait pour nous simplifier la vie.

 

Ben sûr nous avions des contacts avec les autres sports et même d'autres pays, c'est ce qui fait la richesse des jeux. Entre 2 entraînements, si l'horaire s'y prêtait, nous allions soutenir nos athlètes des autres disciplines.

 

Entre entraîneurs aussi il y avait une grande complicité. Le soir on allait manger ensemble et on s'échangeait nos idées, nos espoirs....ou parfois les déceptions, mais on se remontait toujours le moral. Depuis L.A. je m'entendais très bien avec l'entraîneur de décathlon, Roger Lespagnard, qui m'a donné beaucoup de conseils sur l'entraînement pour l'amélioration de la condition physique, moi sur le stretching et la détente.

 

Une autre anecdote : lors de notre entrée sur le stade  pour la cérémonie de clôture, tous les pays se mélangent, s'échangent des tee-shirts, des trainings...et je me suis, par hasard retrouvée à côté de Carl Lewis détenteur de 4 médailles. Naturellement je l'ai regardé avec émerveillement du haut de mon 1m55, lui qui fait 2m !!! Cela l'a fait rire et il m'a empoignée et mise sur ses épaules (à l'époque je ne pesais même pas 50 kgs !!!) et il a fait le tour du stade avec moi sur ses épaules. Inutile de dire le succès. J'avais l'impression d'être moi-même médaillée !!!

 

Photo : Séoul -  "Ma gymnaste et moi sur la place principale du village."

 

- Les JO veulent - par son existence - contribuer à un monde plus humain, plus solidaire. Au début des JO modernes, le diable fut le professionnalisme (les vrais sportifs ne se laissent pas payer...). Aujourd'hui tout à changer. Le slogan "citius, altius, fortius" (Latin pour "plus vite, plus haut, plus fort") a eu pour conséquence que les JO d'aujourd'hui sont parmi des événements les plus professionnalisés. Le diable d'aujourd'hui : le dopage.

Qu'en pensez-vous?

 

MB : C'est vrai qu'actuellement, cela me déçoit de voir des professionnels voler la vedette aux amateurs. Dans ma discipline je sais ce qu'il en coûte d'obtenir une place aux J.O. Et, pour arriver à être enfin qualifiées, c'est le club tout entier qui donne de sa personne. Si on n'a pas un bon club qui nous permet de subvenir à 3H d'entraînement par jour, afin de payer les locations de salles notamment, on n'y arriverait pas. Ce n'est que lorsque nous obtenons enfin une sélection lors d'un C.M. que le C.O.I.B. intervient dans nos frais.

Alors pour les sports où il y a des professionnels ! Où finit l'amateurisme et où commence le professionnalisme ? Actuellement on ne sait plus ! Je trouve cela décevant, mais cela doit être ça l'évolution.

Même chose pour le dopage : vouloir aller plus vite, plus haut et plus fort simplement en restant ce qu'on est, je crois que cela n'existe plus pour beaucoup qui  sont prêts à faire n'importe quoi pour arriver à être "le meilleur". Le vrai sens de cette devise n'existe plus.

 

Photo : " Retour à Zaventhem."

 

- Trouve-t-on des nouveaux talents (dans vos disciplines) actuellement et à venir en Belgique?

 

MB : Quant aux nouveaux talents en Belgique, bien sûr il y en a, mais depuis l'éclatement de l'U.R.S.S., après les J.O. de Séoul, il devient difficile de s'imposer dans les 50 premières lorsqu'on sait qu'avant  3 gymnastes par pays participaient au C.M., donc 3 de l'U.R.S.S.par exemple. Actuellement il y a 3 Russes, 3 Ukrainiennes, 3 Bielo-Russes, etc... Même chose pour tous ces autres pays qui se sont divisés. Et il faut reconnaître qu'ils ont d'autres moyens d'entraînement que nous : 6H/jour comparés à 3H/jour !!!

 

3H/jour en plus de la scolarité, c'est dur. Arrivées dans des études supérieures cela devient impossible. Je crois vraiment que j'ai eu beaucoup de chance de vivre ce que j'ai vécu et rien n'effacera ces beaux souvenirs. Je suis à la retraite et j'estime avoir été au sommet de ma carrière au bon moment. Après les J.O. de Séoul où ma gymnaste a raté la finale d'une place, j'étais tout de même heureuse car on venait de loin, et c'est alors que le C.O. I.B. m'a, lors d'une cérémonie officielle, décerné le titre suprême d'entraîneur Olympique. Il est encadré chez moi.

 

Photo : "Accueil à Zaventhem par familles, amis et membres du club."

 

- Êtes-vous encore actif dans ce monde du sport ?

 

MB : J'ai cessé mes activités concernant la compétition lorsque ma fille est partie en France, car je lui avais confié les entraînements et moi, je m'occupais de préparer de nouvelles gymnastes. Le club est donc passé plutôt dans la démonstration de haut niveau. Tous les 2 ans la Fédération Européenne de Gymnastique organise "l'EUROGYM". Ce sont des démonstrations de haut niveau de toutes les disciplines gymniques. J'ai commencé en 2006 et depuis lors, tous les 2 ans, notre club est sélectionné pour y participer. J'ai passé le flambeau à 2 gymnastes que j'ai moi-même formées, dont l'une est ma belle-fille, et je suis très fière du travail qu'elles font. Je suis toujours présidente de ce club que j'ai fondé, et leur succès prouve que je ne me suis pas trompée.

 

- Une dernière chose à nous raconter?

 

MB : Bien sûr mon parcours ne fut pas toujours simple, je pourrais écrire un livre, mais voilà pour l'essentiel et mes meilleurs souvenirs où, de mon fauteuil, je suis les J.O. avec le même enthousiasme car je sais tout le travail, le stress, les joies et les émotions, les pleurs ,et les rires qui se cachent derrière chaque image.

AvB - Photos : merci à Monique Backès.