La naissance de l'univers

par Benoit Demonty (Belgrade)


Mon histoire va commencer

Elle fera peur, elle fera rêver,

Elle sera triste, elle sera gaie.

Ecoutez, écoutez, mon histoire va commencer…

 

Un jour, tous les rois et toutes les reines de la terre moururent,

Tués par le même homme

– Enfin, un homme… qu’y avait-il d’humain en lui ? –

C’était un empereur sans pitié,

Sans foi,

Sans amour

Il régnait seul sur le monde et imposait sa loi

Toujours plus violente,

Toujours plus absurde,

Toujours plus destructrice.

 

Il vivait dans une forteresse noire comme le pétrole,

Laide comme la cendre,

Puante comme la moisissure.

La terre alentour n’était que fours qui chauffaient le métal des armées,

Cheminées qui crachaient la fumée des fours,

Mines profondes d’où sortaient l’argent et l’or.

Le palais n’était que râles, chocs et grondements,

Odeurs de suie, de souffre et de goudron.

 

Cet empereur portait une armure d’acier,

De bitume

Et de feu.

Il siégeait sur un trône porté par mille esclaves.

 

Un matin,

Une brave vieille femme entra dans la forteresse.

Elle semblait lasse,

Mais quelque chose brillait au fond de ses yeux,

Quelque chose d’indéfinissable,

Quelque chose de perdu depuis longtemps,

Quelque chose que personne ne savait plus nommer.

Elle demanda au garde d’être menée devant l’empereur

Elle fut conduite devant l’empereur par dix soldats.

Mais elle n’avait pas peur.

Les courtisans assemblés mirent un mouchoir devant leur bouche,

Parce que la vielle empestait l’humus.

-  Que veux-tu ? demanda l’empereur aux yeux de braises.

Elle dit alors calmement,

Naïvement,

Comme le dirait un enfant :

-  Empereur aux yeux de braises, que feras-tu le jour où il n’y aura plus de rivières pour refroidir tes fourneaux ?

-  Comment oses-tu me poser cette question ? dit l’empereur en serrant les dents.

Et il ordonna à ses gardes de la chasser hors de sa forteresse.

Les dix soldats s’emparèrent de la vieille femme,

Qui ne résista pas,

Et la chassèrent du palais.

 

La semaine suivante, la brave dame revint.

Elle demanda à nouveau à voir l’empereur.

Cent gardes la menèrent à lui.

Lui, ne se rappelait plus de la vieille, car il n’avait plus aucune mémoire de ce qui touchait aux humains.

-  Que veux-tu ? demanda l’empereur aux mains de fonte.

Les courtisans se bouchèrent les narines,

Parce que la vieille puait la rosée.

La vieille femme dit alors posément,

Simplement,

Comme un oiseau qui se pose :

-  Empereur aux mains de fonte, que feras-tu quand les puits de tes mines auront transpercé la terre de part en part,

Jusqu’à n’en faire qu’un large trou béant ?

-  Comment oses-tu ? cria l’empereur.

Et il donna l’ordre à ses gardes de s’emparer de la vieille femme,

Et de la conduire à mille lieues de la forteresse,

Et de l’abandonner là,

En plein désert,

En plein soleil.

Et les soldats obéirent.

 

Mais la semaine d’après, la vieille dame revint.

Elle désirait encore parler à l’empereur,

Et mille gardes la menèrent à lui.

Dans la salle du trône,

Les courtisans détournèrent la tête,

Parce que la vieille sentait les fleurs de printemps.

L’empereur avait un peu oublié la vieille, parce qu’il tâchait d’oublier tout ce qui le contrariait.

-  Que veux-tu ? demanda l’empereur aux cheveux de charbon.

La brave femme dit alors sereinement,

Ingénument,

Comme un animal qui se désaltère dans l’eau d’un étang :

-  Que feras-tu le jour où il n’y aura plus rien à respirer d’autre que la fumée de tes fourneaux ?

-  Comment oses-tu ? hurla l’empereur. Gardes, emparez-vous d’elle, menez-là sur la plus haute des cheminées et jetez-la dans le puits le plus profond.

 

Les soldats obéirent à l’empereur.

Ils s’emparèrent de la vieille femme,

Qui se laissa faire,

Car elle savait que son heure était venue.

Ils l’amenèrent sur la plus haute des cheminées,

Et elle se laissa faire,

Car elle savait que son heure était venue.

 

L’empereur,

Qui assistait à la scène depuis son trône porté par mille esclaves,

Lui dit alors, vainqueur :

-  Tu n’as plus de questions stupides à me poser ?

Car alors, il s’était souvenu d’elle,

De ses trois venues au palais,

Et de ses trois questions impertinentes.

-  Tu n’as pu répondre à aucune de mes questions, répondit la vieille femme. Tu as gaspillé toutes tes chances, empereur aux pieds d’argile.

L’empereur ne rit pas.

D’un geste du bras, il donna l’ordre aux soldats de pousser la vieille femme dans le vide.

Les soldats hésitèrent,

Puis obéirent.

Ils la poussèrent dans le puits le plus profond,

Et elle tomba sans un cri,

Car son heure était venue.

 

L’empereur était satisfait.

Mais son contentement fut de courte durée.

 

Soudain, de petites pousses vertes sortirent du puits,

Les pousses devinrent tiges,

Les tiges devinrent sarments,

Les sarments devinrent lianes.

Les lianes se répandirent autour des cheminées et les détruisirent,

Les lianes pénétrèrent dans les fours et les éteignirent,

Les lianes encerclèrent la forteresse et l’abattirent,

Les lianes entourèrent les soldats et les changèrent en plantes,

Les lianes,

Enfin,

S’emparèrent de l’empereur,

Qui mourut sur le champ.

 

La brave dame remonta alors des entrailles de la terre,

Mais elle n’était plus la même,

Ce n’était plus une vieille personne,

C’était une femme magnifique,

Immense,

Rayonnante,

Aux seins plantureux,

Aux hanches sensuelles,

Aux cheveux de rameaux et de fleurs,

Aux yeux d’étangs,

Au dos couvert d’animaux.

 

Et elle régna jusqu’à la fin du monde,

Avec ses milliers de fils et ses milliers de filles,

Répandant sur le monde,

Leurs branches de générosité,

De bienveillance,

Et de partage.

 

Voilà comment s’achève mon histoire,

Elle était porteuse d’espoir,

Qu’elle reste dans votre mémoire.

Voilà à quoi servent les histoires.