La loi du 9 novembre 2015 modifiant le régime de l’inscription provisoire dans les registres de la population :

 

entre fantasmes et changements (reculs ?) avérés

 

 

 

Nicolas BERNARD, professeur à l’Université Saint-Louis — Bruxelles

 

 

 

Le 9 novembre 2015, le législateur fédéral a promulgué une loi modifiant le régime de l’inscription provisoire dans les registres de la population[1]. C‘est peu dire que ce texte, qui entre autres retouche la législation organique du 19 juillet 1991[2], suscite un vif remous depuis son entrée en vigueur[3] ; à tout le moins, il jette une certaine confusion auprès des acteurs et « suscite l’inquiétude »[4]. D’aucuns y voient en effet le déclin de l’inscription provisoire, là où d’autres croient déceler au contraire une pérennisation du dispositif. Qu’en est-il exactement ?

 

 

 

I. Contexte législatif

 

 

 

1. On le sait, la commune est tenue d’inscrire dans ses registres de la population l’individu qui a installé sur son territoire sa « résidence », notion éminemment factuelle s’il en est[5]. Du reste, l’inscription constitue pour l’intéressé une obligation[6] ; inversement, l’absence d’inscription a pour effet de placer l’individu dans une sorte de no man’s land juridique et administratif[7], dès lors que de nombreuses réglementations sociales font de cette inscription formelle le pivot de l’application de leurs dispositions[8].

 

Ce devoir d’inscription mis à charge de la commune est-il altéré par la circonstance que le logement concerné, parce qu’il présente des infractions sur le plan urbanistique en en matière de salubrité par exemple, interdit en fait toute installation en son sein ? Non pas[9] ; telle n’est d’ailleurs pas la vocation desdits registres[10]. Simplement, c’est une inscription « provisoire » que l’intéressé recevra alors[11], plutôt que définitive. Ce qui signifiait concrètement, jusqu’il y a peu, que la commune se voyait octroyer un délai (trois ans maximum) pour « met[tre] fin à la situation litigieuse », à défaut de quoi l’inscription devenait alors « définitive »[12]. Ce tour définitif, l’inscription pouvait même l’acquérir (nettement) plus tôt si, dans les trois mois, l’autorité communale n'avait même pas « entamé la procédure administrative ou judiciaire » visant à « mettre fin à la situation irrégulière ainsi créée »[13].

 

Une méprise reste à éviter : l’inscription provisoire ne prémunit en rien le ménage concerné contre une éventuelle éviction (justifiée par la situation d’illégalité du bien). En sens inverse, elle ne fournit point — à elle seule — le titre exécutoire permettant à la commune de procéder au déguerpissement ; ce dernier obéira toujours aux règles procédurales en vigueur[14]. En aucune manière, en tous cas, l’inscription provisoire n’a pour effet de régulariser cette situation.

 

 

 

2. En quoi consiste(nt) dès lors le(s) changement(s) apporté(s) par la législation de 2015 ? Cette dernière insère au sein de la loi de 1991 sur les registres de la population un alinéa libellé comme suit : « Les personnes qui s'établissent dans un logement dont l'occupation permanente n'est pas autorisée pour des motifs de sécurité, de salubrité, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire, tel que constaté par l'instance judiciaire ou administrative habilitée à cet effet, ne peuvent être inscrites qu'à titre provisoire par la commune aux registres de la population. Leur inscription reste provisoire tant que l'instance judiciaire ou administrative habilitée à cet effet n'a pas pris de décision ou de mesure en vue de mettre fin à la situation irrégulière ainsi créée. L'inscription provisoire prend fin dès que les personnes ont quitté le logement ou qu'il a été mis fin à la situation irrégulière »[15]. Passons au crible ces différentes modifications, non sans épingler aussi ce qui, au sein de la loi de 1991, est resté identique.

 

 

 

II. Principaux changements

 

 

 

1. La suppression des délais (ou, l’avènement d’une inscription… définitivement provisoire !)

 

 

 

3. Le changement le plus remarquable, assurément, tient dans la suppression des délais assortissant la prise d’inscription provisoire (engager dans les trois mois les procédures visant à effacer l’illégalité de l’occupation et, dans les trois ans, les mener à bon port). Cet horizon temporel (différencié) a disparu aujourd’hui, puisque l’inscription demeure provisoire « tant que l'instance judiciaire ou administrative […] n'a pas pris de décision ou de mesure en vue de mettre fin à la situation irrégulière ». Antérieurement, l’inscription provisoire était à durée de vie limitée, mais elle peut maintenant perdurer bien au-delà des trois ans ; il n’y sera mis un terme que lorsque « les personnes [aur]ont quitté le logement ou qu'il a[ura] été mis fin à la situation irrégulière ». Loin donc d’amorcer le déclin de l’inscription provisoire, la loi nouvelle la pérennise… quitte à dévoyer la philosophie d’un dispositif qui, en effet, ne peut pas se prolonger outre mesure à peine de rendre par trop visible le délicat porte-à-faux caractérisant la position des autorités (qui n’ont d’autre choix en effet que d’acter — par l’inscription — une situation illégale qu’elles combattent par ailleurs). En l’absence désormais de toute date butoir, l’inscription provisoire est potentiellement illimitée. On a donc, là en germe, une inscription définitivement provisoire ! Nous ne sommes pas dans le pays de Magritte pour rien…

 

Au-delà de la question des délais, le texte nouveau (et c’est plus préoccupant encore) ne conçoit plus du tout manifestement que l’inscription provisoire puisse déboucher sur autre chose qu’une évacuation du bien — sur une inscription définitive par exemple. Dire en effet de la domiciliation provisoire[16] qu’elle prend fin « dès que les personnes ont quitté le logement ou qu'il a été mis fin à la situation irrégulière », exclusivement, atteste à suffisance de la volonté du législateur de ne pas voir ce type de domiciliation évoluer en inscription définitive (alors que ce passage de relais en quelque sorte était organisé par le prescrit ancien). Mais que se passera-t-il concrètement si le bien insalubre et/ou en infraction urbanistique fait l’objet des réfections requises et/ou respectivement bénéficie d’une régularisation (ce qui, dans les deux cas, dépouille l’occupation de son illégalité) ? L’intéressé devra-t-il alors déposer une nouvelle demande de domiciliation ? L’affirmative signerait là un inquiétant repli dans la protection du citoyen.

 

 

 

4. Mais pourquoi, au fond, le législateur s’est-il autorisé à gommer de la sorte tout jalon temporel ? C’est un souci purement pragmatique qui a guidé cette suppression, puisqu’« il [est] apparu que les délais maximaux de 3 mois et 3 ans étaient la plupart du temps trop courts pour les autorités »[17].

 

Cette justification appelle une quadruple remarque. D’abord, elle ne dit rien de la méthodologie qui a permis de dresser ce constat. En l’absence de toute mention relative à une étude scientifique ou une enquête de terrain permettant d’asseoir objectivement ce sentiment, cette conclusion ne peut dès lors qu’être entachée dans sa crédibilité.

 

Ensuite, les deux délais — fort différents — sont logés à la même enseigne, sans qu’il soit possible de savoir lequel des deux s’avère le plus problématique (à savoir, trop court). Autrement dit, méritaient-ils, tous deux, de passer à la trappe ?

 

Par ailleurs, quant au fond, on a du mal à concevoir qu’en trois ans (ce qui n’est pas rien tout de même), il soit si malaisé de mettre fin à la situation litigieuse. Certes, l’opération de régularisation ne dépend pas toujours de la seule commune, mais prendre un arrêté d’inhabitabilité est entièrement du ressort du bourgmestre ; le manque de diligence de certaines autorités locales n’est-il pas, bien plutôt, à pointer[18] ?

 

Enfin, si le problème principal tient dans le caractère réduit desdits délais, pourquoi ne pas avoir, tout simplement, allongé ceux-ci ? L’objectif (louable) de mieux coller aux réalités administratives communales ne pouvait-il pas être rencontré avec un moyen moins radical (que la suppression de tout de délai) ? Il n’est pas sûr, à cette aune, que le principe de proportionnalité ait été respecté ici…[19]

 

 

 

5. La suppression des délais inspire une dernière réflexion. Déjà, sous l’empire du régime précédent, prospérait une réflexion sur l’utilité ultime de l’inscription provisoire (par rapport à l’inscription définitive)[20]. En effet, l’éventualité que la commune ait laissé les délais de trois mois et de trois ans expirer sans commencer à traiter le problème ou à le régler (ce qui transmuait alors l’inscription provisoire en inscription définitive) ne la dépouillait nullement du droit de prendre encore, par la suite, les mesures destinées à fermer l’habitation ou à la régulariser[21].

 

Cette réflexion acquiert une consistance supplémentaire à l’heure actuelle où l’abolition des délais a fait se rapprocher très sensiblement la domiciliation provisoire de sa version définitive. Le ministre compétent, en tous cas, n’est pas le dernier à reconnaître la nature fort relative de la plus-value d’un pareil dispositif : « [P]our les citoyens concernés, une inscription provisoire ne diffère fondamentalement en rien d’une inscription ordinaire »[22]. Qu’était-il besoin alors de prévoir un tel régime ad hoc, qui ne va pas sans porter une certaine charge de stigmatisation pour les ménages concernés (comme il sera donné à voir plus loin[23]) ?

 

En tous cas, la domiciliation provisoire offre à l’individu une protection en tous points analogue à celle que procure l’inscription définitive[24]. Contrairement à ce qu’enseigne un lieu commun (tenace), un ménage habitant un lieu interdit n’est pas « moins bien » inscrit qu’un autre[25]. C’est que la domiciliation provisoire a pour vocation première d’attirer l’attention du pouvoir municipal sur la présence d’une habitation illégale sur son territoire… histoire de fouetter son ardeur à remédier au problème. Et, incidemment, ce mécanisme sert à prévenir l’intéressé de ce que son logement est désormais dans le collimateur de l’autorité locale en quelque sorte et que, corrélativement, une certaine précarité affecte son séjour dans les lieux puisque la commune est censée engager des actions pour mettre fin à la situation litigieuse. Ni plus, ni moins. A contrario, dans l’attente d’une éventuelle mise hors circuit du bien (suivie d’une expulsion), l’individu inscrit provisoirement jouit exactement des mêmes droits qu’un autre. C’est l’inverse qui aurait été surprenant dès lors que l’inscription peut aujourd’hui — par l’effet de la loi du 9 novembre 2015 — être provisoire ad aeternam, ce qui la distingue encore moins de la domiciliation définitive.

 

 

 

2. L’élévation (de l’inscription provisoire) au rang de loi

 

 

 

6. Un autre changement est à noter au sein du texte nouveau ; quoiqu’il s’opère sur un plan strictement légistique, celui-ci n’est pas moins digne d’intérêt. Il s’agit de l’élévation au niveau de la loi du mécanisme de l’inscription provisoire. Antérieurement régi par un simple arrêté royal (du 16 juillet 1992), il est inscrit désormais au coeur même de la loi du 16 janvier 1991 sur les registres de la population. Deux commentaires en découlent.

 

 

 

7. Attendu tout d’abord que le régime actuel diffère du précédent sur plusieurs points, on s’imaginait voir abrogés dans la foulée (ou à tout le moins modifiés) les articles concernés de l’arrêté royal de 1992. Il n’en a rien été, de sorte qu’on a une loi (celle de 1991 sur les registres de la population) qui, aujourd’hui, contredit de manière patente son propre arrêté d’exécution ! Heureusement, il reste la règle générale de l’abrogation implicite du texte inférieur, pleinement d’application ici. Et, tout récemment, le ministre compétent a assuré avoir engagé une procédure pour mettre fin à cet hiatus juridique il est vrai embarrassant[26].

 

 

 

8. Plus fondamentalement, qu’est-ce qui a justifié la « promotion législative » de l’inscription provisoire ? Faut-il y voir la consécration ultime d’un dispositif qui, par là, bénéficierait d’un regain de légitimité démocratique et, à la fois, accéderait à un plus grande pérennité (une loi se modifiant moins aisément en effet qu’un arrêté royal, a priori) ? Nullement; la préoccupation est moins « glorieuse ». Historiquement, l’arrêté de 1992 puisait sa justification (sur le point qui nous occupe) dans un articulet de la loi de 1991, aussi sibyllin que laconique : « Le Roi fixe les règles complémentaires permettant de déterminer la résidence principale »[27]. Il en a découlé la mise sur pied (au sein de l’arrêté) d’un régime exhaustif à propos de l’inscription provisoire… mécanisme totalement inconnu de la loi de base pourtant ! L’habilitation législative, on le voit, manquait à tout le moins sur cette question. C’est donc pour « mettre fin à cette insécurité juridique » et « donner une base légale à l’inscription provisoire » que cette dernière a rejoint le berceau proprement législatif[28].

 

 

 

3. La déclaration de non conformité du bien

 

 

 

9. Un autre changement est à épingler, relatif cette fois à la déclaration de non conformité du bien. C’est que le régime précédent laissait en suspens la question suivante : l’habitation à l’adresse de laquelle le ménage manifeste le souhait de se faire enregistrer doit-elle, au moment de cette demande, avoir déjà été reconnue comme insalubre par exemple (ou contrevenant aux réglementations urbanistiques) pour mettre en branle l’inscription provisoire ? Ou alors, c’est à la faveur précisément de cette requête que la commune (l’agent de police, en pratique[29]), se rendant sur place pour la visite domiciliaire, s’avisera alors du caractère inadéquat du logement en question, sur la base d’une appréciation propre ?

 

L’interrogation n’est pas anodine. Dans la première hypothèse, l’administration locale peut se contenter de renvoyer aux documents existants (qui la déclaration des services régionaux chargés du contrôle de la qualité du logement, qui une décision de justice[30], qui son propre arrêté d’inhabitabilité). Dans la seconde, elle doit effectuer elle-même cette inspection… avec la difficulté qu’elle n’est pas toujours habilitée à vérifier le respect dû aux normes régionales[31] !

 

 

 

10. Cette interrogation, la loi de 2015 l’a tranchée (pour, enfin, « lever tout doute »[32]). Désormais, le manquement aux règles de salubrité, de sécurité, d’urbanisme ou encore d’aménagement du territoire doit expressément avoir été « constaté par l'instance judiciaire ou administrative »[33], ce qui accrédite la première hypothèse. Certes, l’expression « instance administrative » pèche encore par indétermination (la Région ? la commune ?), mais l’idée générale transparaît bien : le constat d’irrégularité frappant le logement doit préexister à la demande d’inscription provisoire. Cette dernière n’interviendra qu’ « après la déclaration d’insalubrité du logement »[34].

 

Une conséquence — forte — s’en infère : n’est pas éligible à la domiciliation provisoire l’individu qui postule son inscription dans une habitation dont l’occupation permanente est prohibée sans cependant que la chose ait déjà été rapportée par les autorités à ce moment-là. Est-ce à dire que l’intéressé n’apparaîtrait nullement en ce cas dans les registres de la population ? Que du contraire ! Celui qui n’émarge pas à la domiciliation provisoire est inscrit alors… à titre définitif[35].

 

 

 

11. La solution dégagée par la loi de 2015, toutefois, ne va pas de soi. C’est que, pour actionner le mécanisme de l’inscription provisoire, la commune doit en bonne logique avoir été mise au courant de la déclaration d’insalubrité ayant frappé préalablement le bien. Or, si cette transmission d’information se fait automatiquement lorsqu’on est en présence d’une interdiction de mise en location décidée par la Région[36] (ou, fatalement, d’un arrêté d’inhabitabilité), il n’en va pas de même des décisions de justice.

 

 

 

4. La compétence de l’instance de recours

 

 

 

a) régime antérieur

 

 

 

12. Au ménage qui voit sa demande d’inscription (provisoire) rejetée par la commune[37], la loi, de manière générale, ouvre un droit de recours auprès du ministre fédéral de l’Intérieur[38] qui, en l’espèce, dispose d’un « large pouvoir d’appréciation »[39]. Après avoir, au besoin, diligenté une enquête sur place, il déterminera lui-même[40] la résidence principale de l’intéressé. Commune et requérant sont libres de faire valoir préalablement leurs observations et, à leur demande, d’être entendus par le ministre[41].

 

Quelle qu’elle soit, la décision du ministre[42] s’impose à la commune ; le cas échéant, cette dernière procédera d’office à l’inscription[43]. En d’autres termes, la décision ministérielle se « substitue » à celle du collège communal[44]. Soumis, au demeurant, à loi du 29 juillet 1991[45], le ministre de l'Intérieur est tenu de motiver formellement sa décision[46]. Enfin, la décision du ministre peut elle-même faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État[47] et, éventuellement, essuyer une annulation (au cas par exemple où la décision aurait été prise sans le « soin » requis[48]).

 

 

 

13. Quid de la compétence (matérielle) du ministre de l’Intérieur. Celui-ci était invité à intervenir « en cas de difficulté ou de contestation en matière de résidence principale »[49]. La formule, malheureusement, est plurivoque. Une interprétation, alimentée entre autres par l’arrêt Miandabo Mbuyi rendu le 10 novembre 1992 par le Conseil d’État[50], voulait que le ministre ne connaisse que des litiges portant sur l’appréciation même de l’emplacement de la résidence principale, question de pur fait s’il en est (qui peut en effet donner lieu à des appréciations divergentes). Si, partant, la commune réfractaire ne contredisait nullement le ménage qui prétend habiter effectivement à un endroit donné, mais pointait plutôt le caractère illégal de cette installation, ce n’était pas auprès du ministre de l’Intérieur que le ménage concerné devait s’en ouvrir. Le contentieux, en l’espèce, ne porte pas sur le lieu même du séjour, mais sur sa régularité juridique.

 

 

 

b) l’arrêt du Conseil d’État du 27 novembre 2014

 

 

 

14. C’est dans ce cadre exact que s’est inscrit l’arrêt Tellin rendu par Conseil d’État en date du 27 novembre 2014[51]. Tirant argument de l’arrêt Miandabo Mbuyi, la commune de Tellin postulait l’anéantissement — pour excès de compétence — de la décision du ministre de l’Intérieur ayant contraint le collège communal à acter l’inscription provisoire dans les registres de la population d’un individu habitant au sein d’un parc résidentiel de vacances, en ce que cette décision est « étrangère » au point de savoir si l’intéressé est effectivement présent sur son territoire. La requérante ne contestait pas la réalité du séjour de l’individu, mais sa légalité urbanistique ; repris comme zone de loisirs et de vacances, le parc résidentiel n’est pas destiné à un habitat permanent, il est vrai. Or, selon elle, seul un conflit afférent à cette question empirique qu’est la localisation de l’individu à l’endroit de sa résidence principale alléguée peut donner lieu à recours au Conseil d’État ; le législateur s’est montré « restrictif » à cet égard. Certes, la commune a fait état elle-même de cette possibilité de recours dans sa décision de refus, mais cette mention résulte simplement de l’utilisation d’un « formulaire-type ».

 

 

 

15. L’argument, toutefois, n’a pas eu l’heur de convaincre le Conseil d’État. La loi, observe ce dernier, ne circonscrit pas la compétence du ministre aux seuls cas où émerge un différend relatif à la réalité de la résidence habituelle d’une personne en un lieu donné, mais vise « toutes les difficultés ou contestations en matière de résidence principale ». Or, une demande d’inscription à laquelle la commune refuse de déférer ressortit incontestablement à cette catégorie, « même si elle met en cause le débat de principe relatif à la possibilité d’inscrire une personne dans les registres de la population à une adresse donnée, nonobstant la circonstance que des règles d’urbanisme ou d’aménagement du territoire s’y opposent ». Le moyen de la requérante, partant, n’est pas déclaré fondé[52].

 

 

 

c) le nouveau régime

 

 

 

16. L’inflexion significative (sinon le revirement) qu’a dû imprimer le Conseil d’État à sa propre jurisprudence appelait impérativement une intervention du législateur destinée à clarifier une fois pour toutes l’embrouillamini. Celle-ci, il faut l’admettre, ne s’est pas fait attendre puisque la loi du 9 novembre 2015 règle ce problème-là aussi… mais pas dans le sens indiqué par le Conseil d’État !

 

Englobant précédemment tout contentieux « en matière de résidence principale », de façon indistincte, la compétence du ministre de l’Intérieur est aujourd’hui réduite spécifiquement à la « contestation concernant le lieu de la résidence principale actuelle »[53] ; à cet égard, la disparition du texte de loi du terme « difficulté » est indicative sans doute de cette sorte de capitis diminutio. Les conséquences de cette modification se donnent à voir immédiatement : le recours contre un refus d’inscription adossé non pas sur l’absence de séjour de la personne mais sur l’irrégularité de celui-ci échappe désormais au ministre de l’Intérieur[54]. Ce dernier ne connaîtra plus désormais que des litiges — exclusivement factuels — afférents à la réalité de la présence de l’individu sur le territoire de la commune. L’exécutif, dans son interprétation du prescrit nouveau, va même plus loin : « en ce qui concerne les voies de recours contre un éventuel refus par une commune de procéder à une inscription provisoire, dans la mesure où ce type de contentieux ne concerne pas la détermination de la réalité de la résidence, il n'existe pas de voie de recours auprès du département Intérieur »[55]. Voilà qui est tout à la fois clair, glaçant… et sujet à critiques ! En soi, la loi du 9 novembre 2015 ne soustrait aucunement le contentieux de l’inscription provisoire aux attributions du ministre de l’Intérieur ; par ailleurs, on ne peut exclure qu’un litige de ce type génère une question d’ordre essentiellement empirique (sur la localisation de la résidence principale).

 

Si, par là, le législateur dissipe bien l’incertitude dénoncée à juste titre par le Conseil d’État, force est de constater qu’il fait retour à l’antique arrêt Miandabo Mbuyi ; drôle de manière de donner exécution à l’arrêt Tellin (nettement plus récent) En tous état de cause, l’amendement opéré ne se cantonne pas aux recours exercés contre les refus de domiciliation provisoire ; il s’applique de façon générale à toute procédure d’inscription, quelle qu’elle soit.

 

 

 

17. Quelle justification officielle sous-tend l’aggiornamento ? Une raison bien pragmatique, en somme, puisqu’est invoquée à titre principal la « surcharge de travail pour le département de l’Intérieur », elle-même induite par une disposition légale « trop vaste »[56]. Il a paru impérieux alors aux autorités de « rationaliser » les procédures de recours[57]… et nul n’ignore ce que le vocable de rationalisation annonce la plupart du temps, à savoir une restriction.

 

Cette explication officielle peut surprendre néanmoins. D’abord, le père de la loi de 2015 ne craint pas de verser dans une certaine forme de cynisme en assurant que c’est « conformément à la jurisprudence du Conseil d’État »[58] qu’il procède au changement normatif (…sans indiquer cependant l’arrêt précis dont il prétend couler l’enseignement dans la législation). Ensuite, et plus fondamentalement, l’argument des moyens — budgétaires et humains — ne laisse d’interpeller. Mobilisée ici comme dans de nombreux autres domaines, cette thèse d’ordre pécuniaire paraît en décalage dès qu’est en jeu un authentique droit fondamental de l’être humain. S’il ne s’agit nullement ici de nier le carcan des ressources matérielles imposé à l’État (qui circonscrit fatalement la voilure de toute politique publique), il ne convient pas moins de convoquer l’imposante — et convergente — jurisprudence des instances européennes, suivant laquelle les considérations liées aux finances publiques, pour légitimes soient-elles, ne sauraient aboutir à rogner exagérément les droits de l’homme des citoyens[59]. Faut-il rappeler à cet égard que l’inscription dans les registres de la population matérialise ce principe supérieur qu’est la liberté d’établissement[60] ? Comprise dans la libre circulation des personnes, cette prérogative constitue même un des piliers juridiques sur lesquels l’Union européenne s’est construite[61].

 

 

 

18. Une question reste pendante : où porter alors les différends (liés à la domiciliation) mettant en jeu cette question de droit cette fois qu’est l’illégalité de l’habitation permanente ? Malheureusement, la loi du 9 novembre 2015 n’en dit mot, pas davantage que les travaux préparatoires[62]. Et, pour sa part, le ministre concerné s’en remet à la tutelle générale sur les communes[63], ce qui est assez faible (ou éloigné) comme protection pour le citoyen, on en conviendra. Ce mutisme fâcheux, dont il n’est pas exclu de penser qu’il a quelque chose d’intentionnel peut-être (dissuader les éventuels recours sur ce point), ne doit cependant pas laisser accroire qu’il n’existerait aucune instance susceptible d’accueillir les contestations des citoyens sur ce point. Simplement, il faut se tourner vers le droit commun.

 

S’agissant d’un acte administratif (le refus d’inscription opposé par la commune), on songe en premier lieu au Conseil d’État[64], ce que suggère aussi la circulaire du 22 décembre 2015 d’ailleurs[65]. C’est oublier toutefois que celui-ci devra vraisemblablement décliner sa compétence dans la mesure où l’on a affaire, avec la domiciliation, à un authentique droit subjectif. Ainsi, « le droit subjectif de l'intéressé d'être inscrit sur le registre de la population » revient à pouvoir « exiger de l'autorité pareille inscription lorsqu'il remplit les conditions légales », observe opportunément la Cour de cassation[66]. Laquelle souligne à juste titre que la compétence de la haute juridiction administrative « est déterminée par l'objet véritable et direct du recours, le Conseil d'État n'étant pas compétent lorsque l'acte individuel attaqué consiste dans le refus d'une autorité administrative d'exécuter une obligation qui répond à un droit subjectif du requérant »[67]. Partant, les juridictions de l’ordre judiciaire (le tribunal de première instance en l’espèce, par défaut[68]) sont habilitées, elles, à trancher les litiges de ce type. Et si l’intéressé peut se prévaloir de l’urgence, il saisira avec fruit le président de ce tribunal en référé[69], lequel pourra condamner la commune à effectuer l’inscription, en assortissant le cas échéant son commandement d’une astreinte.

 

 

 

19. À l’analyse, le bouleversement procédural introduit par la loi du 9 novembre 2015 (à propos du contentieux d’ordre juridique) peut s’analyser comme un véritable recul du point de vue la protection des droits du citoyen ; et ce, à un double titre. D’abord parce que, au recours administratif existant (pratique, rapide et mobilisé plus souvent qu’on son tour[70]), il substitue une démarche nettement plus lourde, de type judiciaire. Or, chacun sait que cette dernière, par sa lenteur, son formalisme, sa portée symbolique impressionnante, le caractère aléatoire de son issue ou encore son coût, peut rebuter des populations défavorisées ; la précarité de leur situation matérielle ne les incline guère à solliciter Thémis, envers laquelle ils éprouvent une appréhension (sinon une méfiance) de principe, parfois alimentée du reste par des expériences négatives vécues dans le passé.

 

Ensuite, l’ « angle mort » existant dans la loi sur les registres de la population en ce qui concerne l’instance de recours susceptibles d’accueillir les contestations non exclusivement empiriques pourrait achever de refroidir les dernières éventuelles velléités d’action en justice ; une loi floue ou lacunaire n’incite évidemment pas à son utilisation. Sans compter qu’il n’est pas sûr que le Conseil d’État puisse lui-même se déclarer compétent en cette matière[71]. En clair, l’incertitude règne ; que ce résultat n’ait — le cas échéant —pas été recherché n’enlève rien à la gravité du constat.

 

 

 

5. La mention de l’inscription provisoire sur tous les certificats

 

 

 

20. Le dernier changement notable à pointer n’est pas le fait de la loi du 9 novembre 2015, mais de la circulaire interprétative du 22 décembre 2015, laquelle enjoint en toutes lettres : « L’indication ‘inscription provisoire’ sera également mentionnée sur les tous les certificats que le citoyen demandera »[72]. La phrase est lourde de signification ; elle suscite incontestablement un questionnement critique, déployé ici en trois temps.

 

 

 

a) quelle habilitation législative ?

 

 

 

21. Il est douteux d’abord qu’une « simple » circulaire soit habilitée à imposer une obligation de cette ampleur dans la mesure où ni la loi de 1991 ni l’arrêté royal de 1992 n’organise cette procédure de transmission, ni même ne l’évoque — fût-ce en filigranes. N’excède-t-on pas dès lors ici le cercle (restreint) des questions et modalités purement techniques, seules dévolues en règle à une circulaire interprétative ? Faut-il rappeler que c’est une préoccupation similaire (le principe de la hiérarchie des normes) qui a justement conduit à rapatrier au sein de la loi même le principe de l’inscription provisoire[73] ? En tous cas, et sur pied de ces arguments notamment, plusieurs communes[74] (parmi les plus concernées par la thématique de l’habitat permanent dans des infrastructures de loisir[75]) ont fait l’audacieux choix de laisser inappliquée la circulaire litigieuse.

 

 

 

b) atteinte à la vie privée ?

 

 

 

22. Sur le plan du fond, ensuite, la personne ou l’institution qui s’autoriserait à relayer ce renseignement à un tiers pourrait se voir reprocher de transgresser les principes relatifs à la protection de la vie privée, proclamés par l’article 22 de la Constitution notamment (« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi. La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 [l’ordonnance bruxelloise] garantissent la protection de ce droit »). Ce, à plus forte raison que la Cour constitutionnelle[76] a expressément insisté sur le fait que les éventuelles mesures portant restriction à ce droit fondamental ne peuvent avoir lieu « qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue » (exigence à laquelle ne satisfait de toute évidence pas un outil comme une circulaire) et que « une délégation à un autre pouvoir n’est pas contraire au principe de légalité, pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur » (faut-il rappeler que rien dans la loi de 2015 n’annonce — même de loin — l’obligation de mention précitée ?).

 

 

 

23. Sur cette circulaire controversée, la Commission de la protection de la vie privée se devait d’être saisie ; ce fut fait. Particulièrement attendu, l’avis a été rendu le 25 octobre 2016. En un mot, il valide le dispositif[77] : « Dans la mesure où la mention inscription provisoire permet d’assurer la fidélité des données des registres de la population par rapport à la réalité de la résidence, cette mention respecte l’article 4, §1er, 4°, de la loi vie privée qui prévoit que ‘les données doivent être exactes et, si nécessaires, mises à jour’ ».

 

Cette prise de position ne laisse toutefois pas d’étonner. D’abord, que les registres reflètent le lieu de séjour effectif de l’intéressé, c’est bien le minimum !  Plus fondamentalement, la Commission occulte les autres critères régissant le traitement des donnée à caractère personnel, lesquelles doivent notamment rester « non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont obtenues »[78]. Il n’est pas sûr à cet égard que la généralisation de la mention de l’inscription provisoire, sur « tous les certificats » et pour l’ensemble des citoyens concernés, soit à même de réussir ce test. L’avis de la Commission surprend d’autant plus que celle-ci admet elle-même que les « exceptions au droit au respect de la vie privée ne peuvent être prévues que par la loi, au sens d’une action normative qui est contrôlée par une assemblée parlementaire, et non par le pouvoir exécutif » ; or, poursuit-elle, « il ne s’agit pas ici [avec la circulaire du 22 décembre 2015] d’une disposition adoptée par une assemblée délibérative démocratiquement élue »[79].

 

 

 

24. Et le ministre concerné de faire chorus. « La mention de l'inscription provisoire sur le certificat de population reproduit objectivement une résidence principale réelle qui est contraire à la législation décrétale régionale […] Cette mention porte donc sur une habitation précise que l'intéressé occupe à titre de résidence principale et non sur la personne et son statut social. Cette mention ne semble dès lors pas porter préjudice au respect de la vie privée d'une personne »[80].

 

L’argument ne convainc pas cependant. D’abord, contrairement à ce que l’édile laisse accroire, la mention en question semble bien pouvoir être assimilée à l’une de ces « données à caractère personnel » dont la loi sur la vie privée encadre le traitement, eu égard à l’ampleur conférée à la définition de celles-ci (« toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable »[81]). Si, ensuite, l’apposition en tant que telle de la mention litigieuse sur un document officiel ne suscite certes pas de difficulté particulière, posent en revanche problème la propagation de ce renseignement en dehors de la sphère strictement administrative[82] ainsi que, en amont, l’extension matérielle donnée à cette obligation (puisque, répétons-le, « tous les certificats » sont concernés, sans distinction).

 

 

 

c) répercussions négatives en cas de mise en vente du bien

 

 

 

25. Enfin, et c’est le troisième registre de griefs à l’encontre de la circulaire, la large diffusion à l’extérieur du caractère provisoire de l’inscription engendre le risque que, sous couvert de transparence, on stigmatise l’individu inscrit provisoirement et, par là, on contribue à dissuader de manière générale le recours à la domiciliation provisoire (…et donc, plus globalement, à l’habitat dit alternatif[83]). On a là un véritable « marquage social »[84]. Or, cette information ne regarde en réalité que le ménage en question et son administration locale, et est exclusivement appelée à jouer dans leurs relations bilatérales.

 

 

 

26. Ce danger prend un relief particulier en matière de vente. Ainsi, les propriétaires d’une roulotte ou d’un chalet sis en zone de loisir manifestent actuellement la crainte que la transmission au candidat acquéreur de l’information sur le caractère provisoire de l’inscription domiciliaire entraîne une décote de leur bien. L’acheteur potentiel sera peut-être tenté en effet de revoir son prix à la baisse si la commune l’avise officiellement de la fragilité administrative affectant (prétendument[85]) l’installation. Ne perdons pas de vue à cet égard que, en Région bruxelloise à tout le moins[86], l’infraction urbanistique par exemple est dite continue (en ce sens qu’elle se poursuit tant qu’il n’y est pas mis fin), échappant dès lors à toute prescription[87]. Autrement dit, l’individu qui fait achat d’un bien conçu, installé ou aménagé en contravention avec des prescriptions urbanistiques reste entièrement tenu par l’infraction commise initialement par le vendeur, qu’il prolonge par son inaction ; le voilà lui aussi, dans l’hypothèse où il resterait passif face à cette irrégularité urbanistique, exposé à une assignation devant les cours et tribunaux[88]. En tout état de cause, de nombreux témoignages font état de refus de prêts hypothécaires opposés par les banques (depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2015) à des personnes intéressées par l’acquisition d’un tel bien, ce qui donne encore du crédit à cette peur[89]. Et le piège se referme d’autant plus pour les propriétaires actuels qu’ils ont parfois construit de bonne foi sur ces parcelles, lorsqu’ils ont reçu un permis de bâtir en bonne et due forme de la part de la commune (ce qui est arrivé ici et là).

 

On ne voit pas bien en tous cas ce que cette information est susceptible d’apporter au récipiendaire.  De toute façon, le notaire est déjà tenu de quérir une série de renseignements (urbanistiques notamment) sur la régularité du logement dont l’acquisition est projetée. Que pourrait donc apporter de plus un document administratif émanant de la commune et revêtu de la formule « inscription provisoire » ? En tous cas, ce dernier ne dispensera pas le notaire de l’accomplissement de ses devoirs.

 

 

 

27. Et si, pour clore ce point, on prenait le ministre compétent au mot, lorsqu’il déclare : « L’introduction de la procédure d’inscription provisoire avait surtout pour but de faire en sorte que les citoyens n’aient plus cette perception que leur inscription dans les registres de la population régulariserait la situation irrégulière qu’ils ont créée »[90] ? Retournons l’argument : si l’objectif de l’inscription provisoire tient tout entier dans l’information à donner à l’occupant, qu’est-il besoin alors de déployer une machinerie administrative de ce type ? Ce (légitime) but ne pourrait-il pas être rencontré d’une autre manière, plus souple et plus douce, sans qu’il faille formellement acter dans des documents officiels le caractère illégal de l’installation ? Le sacro-saint principe de proportionnalité n’est-il pas mis à mal s’il appert que des moyens moins radicaux que la mesure contestée (ici, la domiciliation provisoire) affichent la même efficacité ?

 

*

 

*                 *

 

28. Voilà pour les inflexions principales imprimées par la loi du 9 novembre 2015 sur le mécanisme de l’inscription provisoire. Et au-delà ? Rien ne change. Plusieurs fantasmes sont donc à démonter en ce domaine. D’abord, le principe même de l’inscription provisoire est maintenu, intégralement[91]. Pareillement, les motifs d’illégalité de l’occupation permanente du logement, qui forgent le caractère provisoire de la domiciliation, sont parfaitement identiques au régime antérieur[92]. Une évolution est-elle à trouver alors dans le caractère obligatoire, pour la commune, de la prise d’inscription provisoire ? Pas davantage (ou si peu)[93].

 

Autre continuité (malheureuse ici) avec la législation de 1991 : le peu de cas fait de la régularisation de l’habitation en infraction, en lieu et place de la fermeture pure et simple[94]. L’« oubli » pose doublement question. D’abord, cette procédure permettrait opportunément au ménage concerné de se maintenir dans les lieux. Pareille approche, ensuite, dévoie la lettre de la loi, qui se borne à exiger de « mettre fin à la situation irrégulière »[95], en restant — délibérément — vague sur les moyens pour y parvenir : fermer l’habitation ou la régulariser (cette souplesse trouvant d’ailleurs à s’appliquer quel que soit le domaine[96]).

 

 

 

29. Au final, le régime nouveau n’occasionne point, quant au principe même de l’inscription provisoire (ou définitive d’ailleurs), le recul dénoncé[97]… alors qu’il introduit des dispositions plus que préoccupantes — relativement à la compétence de l’instance de recours ou à la mention de l’inscription provisoire sur les documents — restés étrangement inaperçus, eux. Paradoxe !

 

 

 

 

 

 

 



[1]
                        [1] Art. 9 de la loi du 9 novembre 2015 portant dispositions diverses Intérieur, M.B., 30 novembre 2015.

[2]
                        [2] Loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques, en vue d'imposer l'inscription aux registres de la population des personnes n'ayant pas de résidence en Belgique, M.B., 3 septembre 1991.

[3]
                        [3] Fixée, à défaut de disposition particulière, au 9 décembre 2015, soit dix jours après la publication du 30 novembre 2015 (art. 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, M.B., 21 juin 1961). On ne voit pas bien dès lors ce qui autorise la circulaire du 22 décembre 2015 à mentionner à la place la date du 1er janvier 2016. Émanant de la Direction générale Institutions et Population du S.P.F. Intérieur, cette circulaire (non publiée au Moniteur belge) est intitulée Loi portant dispositions diverses Intérieur. - Adaptations de la réglementation sur la tenue des registres de population à partir du 1er janvier 2016.

[4]
                        [4] Question n°1.230 (« Loi portant dispositions diverses Intérieur du 9 novembre 2015 - Conséquences pour les résidents des domaines ») posée le 25 avril 2016 par M. Georges Gilkinet à M. Jan Jambon, vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, chargé de la Régie des Bâtiment, Bull. Q. R., n°54-073, 17 mai 2016, p. 103.

[5]
                        [5] Et tenant à « la constatation d'un séjour effectif dans une commune durant la plus grande partie de l'année » (art. 16, §1er, al. 1er, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992). Voy. C.E. (VI), 7 février 2005, Gustin, n°140.278, C.E. (VI), 4 décembre 2007, Jouniaux, n°177.560, ainsi que Civ. Bruxelles (réf.), 1er février 1999, J.T., 1999, p. 541.

[6]
                        [6] « Toute personne qui veut fixer sa résidence principale dans une commune du Royaume » doit, dans les huit jours de l'installation effective, « en faire la déclaration à l'administration communale du lieu où elle vient se fixer » (art. 7, §1er, al. 1er, et §4, al. 1er, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992). Une exception est cependant aménagée au bénéfice du fonctionnaire international.

[7]
                        [7] À défaut d’inscription (provisoire), « le citoyen ne peut plus exercer ses droits fondamentaux et cela ne fait qu’aggraver sa situation » (circulaire du 22 décembre 2015, p. 2).

[8]
                        [8] En matière judiciaire (art. 36 du Code judiciaire), d’assurance soins de santé (art. 9, al. 1er, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, M.B., 27 août 1994, err. 13 décembre 1994), de garantie de revenus aux personnes âgées (art. 2, 4°, et 4 de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées, M.B., 29 mars 2001), de détermination du taux — isolé ou cohabitant — de certaines prestations sociales (art. 124, §2 et 3, et 225, §4, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, M.B., 31 juillet 1996), etc.

[9]
                        [9] « Aucun refus d'inscription à titre de résidence principale ne peut être opposé pour des motifs de sécurité, de salubrité, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire » (art. 16, §2, al. 1er, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992 relatif aux registres de la population et au registre des étrangers, M.B., 15 août 1992 ).

[10]
                        [10] Lesquels ont uniquement « pour but d’une part d’assurer la fidélité des données des registres de la population par rapport à la réalité de la résidence, et d’autre part d’éviter que les personnes résidant de manière permanente dans des lieux qui n’y sont pas destinés encourent une marginalisation sociale à défaut d’inscription » (C.E. (XV), 27 novembre 2014, Tellin, n°229.392).

[11]
                        [11] « Tout ménage qui sollicite son inscription dans un logement dont l'occupation permanente n'est pas autorisée pour des motifs de sécurité, de salubrité, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire, est inscrit à titre provisoire pour une période maximum de trois ans » (art. 16, §2, al. 2, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992).

[12]
                        [12] Art. 16, §2, al. 4, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992.

[13]
                        [13] Art. 16, §2, al. 3, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992.

[14]
                        [14] L’expulsion consécutive à un manquement contractuel par exemple requiert une décision de justice préalable. Si, en revanche, on a affaire à un arrêté d’inhabitabilité (qu’il soit pris sur pied de l’article 133 ou 135 de la nouvelle loi communale), l’autorité administrative qu’est le bourgmestre est susceptible de procéder à l’exécution forcée de son arrêté sans recourir préalablement à la justice. Cf. sur cette dernière question M. NIHOUL, Les privilèges du préalable et de l'exécution d'office, Bruxelles, Bruges, La Charte, 2001, p. 469 et s., P. GOFFAUX, Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2006, p.50 et s., ainsi que P. GOFFAUX, L'inexistence des privilèges de l'administration et le pouvoir d'exécution forcée, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 346 et s. ; voy. dans le même sens, mais a contrario (« à défaut de texte légal l'y habilitant et en l'absence de circonstances particulières nécessitant une intervention urgente en vue d'éviter une atteinte grave à l'ordre public, l'autorité communale ne peut procéder à l'exécution d'office, en dehors du domaine communal, des mesures qu'elle a édictées, sans recours préalable au juge »), Cass., 20 janvier 1994, Droit communal, 1994, p. 232, note M. Nihoul.

[15]
                        [15] Art. 1er, §1er, al. 1er, 1°, al. 2, de la loi du 19 juillet 1991, inséré par l’art. 9 de la loi du 9 novembre 2015.

[16]
                        [16] Stricto sensu, la domiciliation n’est point à apparenter à l’inscription dans les registres de la population, malgré certains amalgames courants (notamment l’art. 15, §4, al. 3, du Code bruxellois du logement), dénoncés d’ailleurs par le Conseil d’État (C.E. (IV), 25 octobre 1995, Van der Plas, n°56.024). Aucun des deux textes normatifs concernés en effet (la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques, en vue d'imposer l'inscription aux registres de la population des personnes n'ayant pas de résidence en Belgique, M.B., 3 septembre 1991 et l’arrêté royal du 16 juillet 1992 relatif aux registres de la population et au registre des étrangers, M.B., 15 août 1992) ne retient le vocable « domicile », notion de droit civil essentiellement, mobilisée par tout Belge pour « l’exercice de ses droits civils » et qui se définit comme le lieu où l’intéressé « a son principal établissement » (art. 102 du Code civil). Pour des raisons de commodité pratique toutefois, et parce que le lexique “domiciliation” (qui n’est lui-même pas tout à fait équivalent à “domicile”) est communément admis aujourd’hui, on le substituera parfois au terme “inscription” au cours de cet article, histoire simplement de diversifier le vocabulaire.

[17]
                        [17] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 11.

[18]
                        [18] Même si l’adoption d’un tel arrêté doit s’accompagner d’une préoccupation suffisante pour le relogement des expulsés, ce qui peut freiner certaines velléités municipales. Sur cette délicate question, voy. entre autres N. BERNARD, « Le relogement des personnes occupant un immeuble frappé par un arrêté d’inhabitabilité », Droit communal, 2013, n°3, p. 34.

[19]
                        [19] Voy. infra n°32.

[20]
                        [20] "On peut se demander si la notion d'inscription provisoire est susceptible de se voir reconnaître un contenu propre" (M. QUINTIN et B. JADOT, "La qualité des logements : dispositions de police administrative et règles en matière de bail à loyer", Droit communal, 2000, p. 103).

[21]
                        [21] Ainsi, « l’inscription définitive n’implique pas une légalisation de la situation. Les procédures judiciaires et administratives peuvent toujours être entamées ou poursuivies même, après l’inscription définitive », résume Christophe Verschoore, attaché au Service population et cartes d’identité du S.P.F. Intérieur. « Ce mécanisme de l’inscription provisoire permet sous certaines conditions, de remettre en question la situation de résidence, sans porter préjudice aux droits liés à l’inscription dans les registres des personnes concernées pendant la période qui précède une décision administrative ou judiciaire. Le refus d’inscription et l’inscription sans adresse ne sont plus admissibles » (Chr. VERSCHOORE, "L'habitat alternatif sous l'angle de l'inscription aux registres de la population", La norme à l'épreuve de l'habitat alternatif, sous la direction de N. Bernard, Bruxelles, La Charte, 2012, p. 114).

[22]
                        [22] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 11.

[23]
                        [23] N°25 et s.

[24]
                        [24] « L'inscription provisoire d'un citoyen [engendre] les mêmes conséquences qu'une inscription "ordinaire" », a rassuré — récemment encore — le ministre compétent (de l’Intérieur). « Au niveau du citoyen, il n'y a aucun changement concernant son inscription aux registres de la population » (Bull. Q. R., n°54-073, 17 mai 2016, p. 105).

[25]
                        [25] À cet égard, force est (malheureusement) de constater que certaines communes, réfractaires à l’implantation de ménages jugés indésirables sur leur sol, laissent complaisamment circuler cette idée reçue sans chercher à la briser, quand ils ne l’alimentent pas elles-mêmes...

[26]
                        [26] « Un projet d’arrêté royal en vue d’abroger ce paragraphe est en voie d’élaboration » (réponse donnée par M. Jan Jambon, vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, chargé de la Régie des Bâtiment, à la question n°14.434 (« La mise en oeuvre de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, telle que modifiée par la loi du 9 novembre 2015 portant dispositions diverses Intérieur et interprétée par la circulaire du 22 décembre 2015 ») de M. Georges Gilkinet, C.R.I., COM. Intérieur, séance du 9 novembre 2016 (après-midi), n°54-533, p. 22).

[27]
                        [27] Art. 3, al. 2.

[28]
                        [28] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 12.

[29]
                        [29] Mais pas nécessairement ; rien dans l’arrêté du 16 juillet 1992 n’oblige en effet de réserver à la police communale cette tâche, le texte se bornant à évoquer une enquête à diligenter par « par l'autorité locale » (art. 7, §5, al. 1er). Voy. entre autres le Règlement communal en matière d’inscription et de radiation des habitants dans les registres de la population, des étrangers et d’attente adopté le 30 juin 2011 par Auderghem, art. 1, al. 2.

[30]
                        [30] Ou plutôt, un rapport d‘expertise (commandé par le magistrat) établissant l’insalubrité du bien ou un compte-rendu d’une « vue des lieux » opérée par le juge lui-même.

[31]
                        [31] La visite du logement est du ressort exclusif de Direction de l’Inspection régionale du logement à Bruxelles par exemple (art. 6 du Code bruxellois du logement). En Wallonie, certes, une délégation de compétence a été prévue au bénéfice des pouvoirs locaux sur ce point-là (art. 5, al. 1er, du Code wallon du logement et de l’habitat durable, et art. 3 et 4 de l’arrêté du Gouvernement wallon du 30 août 2007 relatif à la procédure en matière de respect des critères de salubrité des logements et de la présence de détecteurs d'incendie, M.B., 30 octobre 2007), mais seule une commune sur cinq environ a introduit une demande en ce sens à ce jour.
            Il est vrai également que les communes sont autorisées à porter plainte auprès des instances régionales aux fins de déclencher la procédure conduisant le cas échéant à déclarer le logement insalubre (art. 7, §2, al. 2, 2°, du Code bruxellois du logement par exemple, à lire en combinaison avec l’art. 2, §1er, 4°), mais le temps que cette démarche aboutisse, le délai de vingt jours à l’intérieur duquel l’autorité locale est censée notifier sa décision quant à la demande d’inscription (art. 7, §5, al. 2, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992) sera largement dépassé...

[32]
                        [32] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 14.

[33]
                        [33] Art. 1er, §1er, al. 1er, 1°, al. 2, de la loi du 19 juillet 1991.

[34]
                        [34] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 14, souligné par nous (« seule l’instance judiciaire ou administrative compétente en la matière constate l’insalubrité, après quoi l’intéressé est inscrit au registre de la population »).

[35]
                        [35] Pour peu, naturellement, que le séjour de l’individu sur le sol de la localité (la majeure partie de l’année) soit avéré.

[36]
                        [36] Art. 8, al. 1er, du Code bruxellois du logement et art. 7, al. 1er, du Code wallon du logement et de l’habitat durable.

[37]
                        [37] Fût-ce implicitement. On vise par là l’attitude d’une commune qui, sans repousser formellement la demande d’inscription, prend argument d’une surcharge de travail pour différer indéfiniment le moment de la traiter (cf. Civ. Bruxelles (réf.), 9 décembre 1992, T. vreemd., 1993, p. 39). Cette « tentation » est d’autant plus aiguë que l’arrêté royal de 1992 n’attache aucune sanction au non respect des délais assignés à la commune pour donner suite à la déclaration de résidence de l’intéressé (art. 7, §5, al. 2, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992), hors l’application de l’amende pénale — peu exploitée cependant — que le texte associe de manière générale à ses dispositions (art. 23 de l’arrêté royal du 16 juillet 1992).

[38]
                        [38] Art. 8 de la loi du 19 juillet 1991.

[39]
                        [39] C.E. (VI), 26 mai 2008, Leclercq, n°183.377

[40]
                        [40] Ou le fonctionnaire dirigeant l'administration qui a la population dans ses attributions.

[41]
                        [41] Ou le fonctionnaire en question. Cf. l’art. 8, §1er, al. 1 à 3, de la loi du 19 juillet 1991.

[42]
                        [42] Ou de son délégué.

[43]
                        [43] Art. 8, §2, de la loi du 19 juillet 1991. Voy. également l’art. 11, al. 1er, 4°, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992.

[44]
                        [44] C.E. (VI), 25 octobre 2005, Gérard et Scimone, n°150.665.

[45]
                        [45] Loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, M.B., 12 septembre 1991.

[46]
                        [46] C.E. (IV), 12 juin 1996, Redant et Van Den Driessche, n°60.104.

[47]
                        [47] Voy. C.E. (XII), 14 septembre 1999, Van Den Bogaert, n°82.258.

[48]
                        [48] C.E. (VI), 6 mars 2002, van Delft, n°104.382.

[49]
                        [49] Art. 8, §1er, al. 1er, de la loi du 19 juillet 1991.

[50]
                        [50] Cf. C.E. (VI, réf.), 10 novembre 1992, n°40.978, Miandabo Mbuyi.

[51]
                        [51] C.E. (XV), 27 novembre 2014, Tellin, n°229.392.

[52]
                        [52] Voy., pour de plus amples développements sur cet important arrêt, N. BERNARD, « De l’inscription provisoire (dans les registres de la population) d’une personne habitant un parc résidentiel : une confirmation sur le principe et, à propos du recours, un revirement de jurisprudence », Droit communal, 2015/2, p. 25 et s.

[53]
                        [53] Art. 8, §1er, al. 1er, de la loi du 19 juillet 1991, remplacé par l’art. 12, 1°, de la loi du 9 novembre 2015, souligné par nous.

[54]
                        [54] « [S]eules les contestations relatives au lieu de la résidence pourront faire l’objet d’une enquête quant à la réalité de la résidence. Toute autre considération que le lieu motivant la contestation sera ainsi rejetée » (projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 9 et 10).

[55]
                        [55] C.R.I., COM. Intérieur, séance du 9 novembre 2016 (après-midi), n°54-533, p. 23, souligné par nous.

[56]
                        [56] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 9.

[57]
                        [57] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 9.

[58]
                        [58] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 9.

[59]
                        [59] Par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour, schématiquement, l’application insuffisante de sa législation sur le droit au logement dit opposable (DALO). Pourtant, l’État français n’a pas manqué d’invoquer à l’appui de sa carence le manque de moyens budgétaires (qui complique considérablement l’octroi d’un logement social aux individus ayant obtenu en justice qu’un tel bien leur soit accordé en urgence), mais ce genre d’explication empirique « ne se fonde sur aucune justification valable », réplique la haute juridiction; autrement dit, « une autorité de l’État ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer, par exemple, une dette fondée sur une décision de justice » (arrêt Tchokontio Happi c. France du 9 avril 2015, §50). Cette décision fait écho à la jurisprudence de la même Cour (dans un domaine approchant — quoique inversé pour ainsi dire) selon laquelle l'absence de solution de relogement ne saurait excuser l’inertie de l’État à appliquer une expulsion décidée par un juge (cf. entre autres Cour eur. dr. h., arrêt Prodan c. Moldova,18 mai 2004, §53 et Cour eur. dr. h., arrêt Kukalo c. Russie, 3 novembre 2005, §49).
            Appelé pour sa part à évaluer la légalité des mesures anti-austérité en Grèce, le Comité européen des droits sociaux y a vu (à l’unanimité) des violations de dispositions de la Charte sociale européenne, estimant que « même lorsqu’en raison de la situation économique d’un État partie, il est impossible à un État de maintenir le régime de protection sociale au niveau qu’il avait précédemment atteint, il est nécessaire, sur la base des dispositions de l’article 12§3, que l’État partie s'efforce de maintenir ce régime à un niveau satisfaisant, en tenant compte des attentes des bénéficiaires du système et du droit de tout individu à bénéficier réellement du droit à la sécurité sociale. Cette exigence est fondée sur l’engagement des États parties à ‘s’efforcer de porter progressivement le régime de sécurité sociale à un niveau plus haut’, clairement énoncée à l’article 12§3 » (C.E.D.S., Syndicat des Pensionnés de la Banque agricole de Grèce (ATE) c. Grèce, 7 décembre 2012 (fond.), récl. 80/2012, §65). Par ailleurs, « une plus grande flexibilité dans le travail pour lutter contre le chômage ne peut pas conduire à priver de larges catégories de salariés, singulièrement ceux qui ne sont pas depuis longtemps titulaires d’emplois stables, de leurs droits fondamentaux en matière de travail, contre l’arbitraire de l’employeur ou les aléas de la conjoncture » (C.E.D.S., Fédération générale des employés des compagnies publiques d’électricité (GENOP-DEI) et Confédération des syndicats des fonctionnaires publics (ADEDY) c. Grèce, 23 mai 2012 (fond.), récl. 65/2012, §18). De manière générale, « la crise économique ne doit pas se traduire par une baisse de la protection des droits reconnus par la Charte. Les gouvernements se doivent dès lors de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces droits soient effectivement garantis au moment où le besoin de protection se fait le plus sentir » (Introduction générale des Conclusions XIX-2, 2009).

[60]
                        [60] Voy. l’art. 12.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence »), l’art. 13.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (« Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État ») ainsi que l’al. 3 du Préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[61]
                        [61] Art. 3.2 du Traité sur l’Union européenne. Voy. également l’art. 26.2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; la liberté d’établissement est cependant appréhendée ici sous l’angle économique.

[62]
                        [62] Exposé des motifs ou Commentaire des articles.

[63]
                        [63] « La commune qui refuse de procéder à l'inscription provisoire d'un citoyen enfreint la loi. L'autorité régionale, qui exerce la tutelle générale sur les communes, doit alors surveiller ses agissements et intervenir. Les plaintes déposées par les citoyens seront, par conséquent, signalées aux ministres régionaux compétents si le bourgmestre de la commune concernée ne souhaite pas réagir au courrier de mes services afin de régulariser l'inscription provisoire en question » (C.R.I., COM. Intérieur, séance du 9 novembre 2016 (après-midi), n°54-533, p. 22).

[64]
                        [64] Voy. les art. 14, §1er, al. 1er, 1°, et 17, §1er, al. 1er, des lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État, M.B., 21 mars 1973.

[65]
                        [65] « Un citoyen peut toujours introduire un recours auprès du Conseil d’État ou d’un tribunal civil contre une décision communale relative à son inscription dans les registres de la population » (circulaire du 22 décembre 2015, p. 5). Sur cette circulaire, voy. supra, note infrapaginale 2, in fine.

[66]
                        [66] Cass., 17 novembre 1994, J.T., 1995, p. 316, note B. Haubert et Journ. proc., n°275, 1995, p. 26, note F. Tulkens. Voy. également Anvers, 1er décembre 2003, N.j.W., 2004, p. 664, note S. Lust, ainsi que Liège (I) 5 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 395. En matière de délivrance de cartes d’identité, voy. plutôt C.E. (VIII), 5 septembre 2006, Gurich, n°162.270.

[67]
                        [67] Cass., 17 novembre 1994, J.T., 1995, p. 316, note B. Haubert. Voy. également Cass., 22 décembre 2000, J.T., 2003, p. 66.

[68]
                        [68] Art. 568, al. 1er, du Code judiciaire.

[69]
                        [69] Cf. Mons, 21 avril 2006, R.G.D.C., 2008, p. 138, Anvers, 1er décembre 2003, N.j.W., 2004, p. 664, note S. Lust ainsi que, en matière de radiation, Bruxelles (II), 8 décembre 2005, J.T., 2006, p. 77.

[70]
                        [70] Il n’y a qu’à demander aux « occupants précaires » du bâtiment sis au 123 rue Royale comment ils sont parvenus finalement à se faire inscrire à la Ville de Bruxelles...

[71]
                        [71] Voy. supra n°22.

[72]
                        [72] P. 5 (souligné par nous).

[73]
                        [73] Voy. supra n°11.

[74]
                        [74] Philippeville et Hastière par exemple.

[75]
                        [75] Sur le thème, voy. S. MILLER, « La problématique de l’habitat permanent en Flandre et en Wallonie », Amén., 2013, p. 141 et s.

[76]
                        [76] C.C., 21 décembre 2004, n°2004/202, cons. B.6.3. et B.6.2 respectivement.

[77]
                        [77] Signalons cependant que la Commission a, par là, contredit la position — informelle — de son conseiller juridique en charge du dossier qui, le 2 septembre 2016, avait déjà fait part de son opinion personnelle (en défaveur donc de la circulaire) à la commune ayant sollicité l’avis…

[78]
                        [78] Art. 4, §1er, 3°, de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, M.B., 18 mars 1993.

[79]
                        [79] « Une circulaire », signale la Commission, « peut néanmoins contenir des exceptions au droit au respect de la vie privée si la loi, le décret ou l’ordonnance contient les conditions minimales du traitement de données à caractère personnel ( principes de légalité et de prévisibilité : chaque citoyen doit pouvoir de se faire une idée précise de la manière dont laquelle ses données à caractère personnel seront traitées, pour quelle raison et par qui) ». On ne peut à nouveau que constater que la loi, extrêmement elliptique sur cette question (la transmission à l’extérieur de l’information sur le caractère provisoire de l’inscription), ne contient en tous cas pas ces « conditions minimales ».

[80]
                        [80] C.R.I., COM. Intérieur, séance du 9 novembre 2016 (après-midi), n°54-533, p. 23.

[81]
                        [81] Art. 1er, §1er, de la loi du 8 décembre 1992.

[82]
                        [82] Voy. infra n°25 et s.

[83]
                        [83] Colocation, habitat solidaire, squat, habitat permanent en zone de loisir, …

[84]
                        [84] Question n°14.434 (« La mise en oeuvre de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, telle que modifiée par la loi du 9 novembre 2015 portant dispositions diverses Intérieur et interprétée par la circulaire du 22 décembre 2015 ») posée par M. Georges Gilkinet à M. Jan Jambon, vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, chargé de la Régie des Bâtiment, C.R.I., COM. Intérieur, séance du 9 novembre 2016 (après-midi), n°54-533, p. 22.

[85]
                        [85] Voy. supra n°29.

[86]
                        [86] Car la situation normative a évolué dans le sens d’une péremption en quelque sorte des infractions urbanistiques, tant en Wallonie (art. D.VII.1, §2, du Code de développement territorial dit bis, tel que publié par le Moniteur belge du 14 novembre 2016) qu’en Flandre (art. 6.1.1 et 6.1.41, §5, du Code de l'aménagement du territoire).

[87]
                        [87] Du reste, le maintien de l’infraction — et pas simplement sa commission — est également incriminé (art. 300, 2°, du Code bruxellois de l'aménagement du territoire ; cf. notamment Cass., 14 mars 1989, Pas., 1989, I, p. 727).

[88]
                        [88] Voy. notamment Cass., 10 janvier 2012, A.P.T., 2012, p. 489, Cass., 2 mai 2006, Pas., 2006, p. 997 et Cass., 13 mai 2003, Pas., 2003, p. 970. Cf. également B. LOUVEAUX, « Urbanisme. L'infraction de maintien de travaux illicites pèse sur le propriétaire », Immobilier, 2004, n°18, p. 1 et s.

[89]
                        [89] Formulé autrement, les banques n’estiment pas pouvoir tirer de l’aliénation du bien (sur saisie) le produit suffisant pour les rembourser d’un prêt contracté par un débiteur hypothécaire défaillant.

[90]
                        [90] Projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 11.

[91]
                        [91] Il sort même renforcé de la réforme, pour ainsi dire, du fait de son élévation au rang de loi, on l’a dit (n°6 et s).

[92]
                        [92] Il doit toujours s’agir de règles relatives à la sécurité, la salubrité, l'urbanisme ou encore l'aménagement du territoire. Et, tout comme avant, l’indécision persiste sur la nature ouverte ou fermée de cette liste. Cf. sur cette question N. BERNARD, « L’inscription provisoire dans les registres de la population. Éradiquer l’occupation illégale…ou l’illégalité de l’occupation ? », Chr. D.S., 2012, p. 396 et s.

[93]
                        [93] Actuellement, les ménages habitant un lieu dont le séjour est prohibé « ne peuvent être inscrites qu'à titre provisoire », là où précédemment le texte disait d’un tel individu qu’il « est inscrit à titre provisoire ». Dans les deux cas, la commune est privée de toute marge d’appréciation face à une personne remplissant les exigences : elle doit l’inscrire (pour autant donc que la réalité de la présence de l’intéressé au sein du logement dûment rapportée), et à titre provisoire.

[94]
                        [94] Les travaux préparatoires de la loi du 9 novembre 2015 passent complètement sous silence cette hypothèse. Et, pour le ministre concerné, ce n’est pas l’illégalité de l’occupation qu’il y a lieu d’éradiquer, mais « toute forme d’occupation […] illégitime » elle-même (projet de loi portant des dispositions diverses Intérieur, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, n°54-1298/001, p. 11), ce qui signifie immanquablement mettre le logement hors jeu (et en chasser les habitants).

[95]
                        [95] Art. 1er, §1er, al. 1er, 1°, al. 2, de la loi du 19 juillet 1991.

[96]
                        [96] Il en va ainsi par exemple de la résidence de week-end et du chalet sis en zone touristique qui font l’objet d’une occupation permanente, dans la mesure où les autorités sont toujours susceptibles de régulariser une telle implantation en modifiant les affectations urbanistiques ; c’est précisément, à propos de certaines parcelles situées en zone non inondable, ce à quoi se sont engagées les autorités wallonnes wallon dans le plan « Habitat permanent » (voy. notamment la réponse donnée le 1er juin 2010 par Ph. Henry, Ministre wallon de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité, à la question orale sur « Les difficultés de régularisation dans les zones de loisirs » posée par W. Borsus, C.R.I.C., Parl. w., sess. 2009-2010, n°135, p. 25).
            Pour ce qui est maintenant de l’insalubrité, le jeu est ouvert également. C’est que la fermeture du bien ne constitue pas le seul levier mis à la disposition des autorités, tant s’en faut. Parfois même, elle n’est envisagée qu’en dernière instance (en dehors de l’hypothèse de la menace immédiate que ferait peser sur la santé et l’intégrité physique des occupants une habitation lourdement dégradée). Peut, d’abord, être imposée ainsi au propriétaire la réalisation des travaux propres à restaurer l’habitation (et, de la sorte, la rendre conforme aux normes de salubrité). L’arrêté d’inhabitabilité n’intervient alors qu’en dernier recours, lorsque les réfections exigées n’ont pas été effectuées, ou insuffisamment. Les préceptes civils du droit du bail ne disposent pas autrement, eux qui ménagent au preneur habitant un bien insalubre la possibilité de réclamer, en lieu et place de la résolution du contrat de location, l’exécution forcée des réparations, avec réduction de loyer dans l’attente (art. 2, §1er, al. 6, de la section 2 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil). Cette phase préalable de réalisation des travaux est expressément prévue aussi par les réglementations régionales en matière de qualité des logements (art. 7, §3, al. 1er, du Code bruxellois du logement) ; elle est même obligatoire, à moins que les manquements s'avèrent susceptibles de mettre en péril la sécurité ou la santé des occupants.

            Même en matière de squat, il n’y a pas que l’expulsion à pouvoir purger l’occupation de sa charge d’irrégularité. Conscient en effet des avantages que cette installation — certes non autorisée — peut lui offrir (en termes d’éludement de la taxe sur les bâtiments vides, notamment), le propriétaire décide parfois de légaliser a posteriori la situation et, concrètement, de conclure un contrat en bonne et due forme (dit d’occupation précaire) avec ces intrus qui, désormais, ne le sont plus (cf. pour de plus amples renseignements N. BERNARD, « Bail, résiliation pour occupation personnelle et convention d’occupation précaire : une clarification bienvenue », R.G.D.C. 2015, p. 391 et s.).

[97]
                        [97] Bull. Q. R., n°54-073, 17 mai 2016, p. 103.