Le fabuleux destin du Château de Fagnolle de 1900 à nos jours.


4. La Gatte d’or

 

Dans les années 1920, son Altesse le prince Ernest de Ligne vendait ses terres et ses bois situés sur les communes de Dourbes, de Mariembourg et de Frasnes. En 1923 il vendait en plus les ruines du château de Fagnolle et "tout ce que le mur d’enceinte englobait" (1)  pour la somme de 23.000 francs (2), soit une valeur à peu près de 32.500 euros aujourd’hui.

 

L’acheteur fut Jules Bastien, Fagnollin, âgé de 43 ans. Ébéniste et herbager de profession et secrétaire communal, Jules Bastien pourrait eut des idées spécifiques avec sa conquise, par exemple, la restauration du château médiéval. Bien au contraire : "en 1928, les ruines et leur histoire ne tenaient guère à cœur du propriétaire car quoique enfant de Fagnolle, il n’hésite pas à vendre les ruines contre espèces sonnantes et trébuchantes, les vouant à la destruction". Durant cette année, "plus de 3 chariots chargés des plus belles pierres du château prirent le chemin de Couvin, soi-disant pour construire l’Ermitage" (3). Il est aussi vrai que pas mal de vieilles pierres furent alors utilisées pour des maisons de Fagnolle et même pour l’accolade du portail de l’église de Fagnolle.

 

En effet, Jules Bastien avait vendu les vieilles pierres à un certain Kinnard, entrepreneur bruxellois. Ce n’était pas seulement ces vieilles pierres qui devaient lui rapporter de l’argent, il y avait plus, beaucoup plus. Bastien espérait ainsi retrouver un trésor sous la forme d’une gatte d’or. "Or, M. Kinnard dut promettre au madré villageois, qui lui a vendu les débris des ruines, que, si, au cours de ses travaux de démolition, il découvrait la ‘gatte d’or’, le trésor serait partagé à demi..." (4)

 

La légende de la Gatte d’or était encore bien vivante dans la région : "il existe une légende où il est question ‘d’ène gate d’or’ Parmi d’autres légendes, elle se comptait naguère à Fagnolle, à la veillée et de générations en générations tous les Fagnollis la connaissaient." (5)

 

Cette légende de la Gatte d’or ou chèvre d’or est une vieille légende, racontée partout en Wallonie, là où il y  a des ruines de château. Il s’agirait d’un trésor des plus précieux dans la forme d’une chèvre, enterrée par les Sarrasins, il y a des centaines d’années. Les Sarrasins est l’un des noms donnés durant l'époque médiévale en Europe aux peuples de confession musulmane. Évidemment ce trésor est gardé par un démon.

 

"Il était dit que lorsque sonnaient les douze coups de minuit la nuit de Noël, la chèvre apparaissait mais il fallait savoir se taire : un seul petit bruit et vous perdiez l’occasion de l’apercevoir ou de la saisir. Et coure la légende ...

 

I gn-a, dins no chatau-fort,

A ç qu'on dit, ène bèle gate d'or ...

I parèt qu'au nût, on l' waît

Fé 'ne pourmwinnade dins lès près;

Mins quand èle intind dès djins,

Dins 'ne cave, èle sè sauve rademint !

Faut crwère qu'èle a peû dès brûts

 

Qu' jamé nèlu n'è l'a vu ...

Yun d'jeut l'awè vu mins c'èsteut

L'bouc du "Géant" qu'i s' sauvent

Il y a dans notre château fort,

D'après ce que l'on dit, une belle chêvre en or ...

Il paraît que les soirs on la voit

Faire une promenade dans les prés;

Mais quand elle entend des gens,

Dans une cave elle se sauve bien vite !

Faut croire qu'elle a peur des bruits

 

Jamais personne ne l' a vue ...

Quelqu'un a dit l'avoire vue, mais c'était

Le bouc du "Géant" qui se sauvait


Ecrit en 1926 par Paulin Lapôtre (mort en 1977) (6). Traduction : Raoul.

 

Est-il nécessaire de dire que l’on n’a jamais retrouvé ce trésor des Sarrasins, ni à Fagnolle, ni ailleurs ?

 

5. Le Cercle des XV vient à la rescousse

 

Septembre 1928 – Emile Close, publiciste : "À notre stupéfaction, nous apprîmes, au cours d’une randonnée récente dans cette magnifique région, que M. Bastien avait revendu les vénérables débris à un entrepreneur bruxellois, M. Kinnard, qui se disposait à les raser... Sans perdre de temps, nous nous mimes en campagne pour empêcher cet acte de vandalisme." (7)

 

Emile Close écrivait alors un article dans le quotidien l’Indépendance Belge à ce sujet. "Notre cri d’alarme fut entendu par les amoureux de notre patrimoine artistique et historique. Le Cercle des XV, constitué pour la défense et la glorification de l’Entre-Sambre-et-Meuse était alerté et son président d’honneur, M. Le député de Sélys Longchamps adressait dès le 7 septembre, au ministre des Sciences et des Arts, la question suivante :

 

‘Le journal l’Indépendance Belge annonce, dans un article bien documenté, que, sauf une intervention imminente, les ruines grandioses du château de Fagnolle lez Mariembourg, sont menacées d’une disparition prochaine et que leurs débris serviront de matériaux de réemploi. Ces ruines, classées par la Commission royale des Monuments, font partie du patrimoine historique de la Nation et constituent un exemplaire incomparable de l’architecture militaire du XV° siècle. Leur destruction serait un crime. Monsieur le ministre voudrait-il me dire qu’il ne compte pas prendre des mesures urgentes pour empêcher cet acte de vandalisme, unique dans les annales de notre pays ?’" (8)

 

Le publiciste Emile Close de constater : "Ces différentes interventions allaient révéler l’impuissance légale du gouvernement de protéger les sites et les monuments". (9)

 

En plus, Emile Close découvrit que les travaux de démolition devraient commencer à la date du 15 septembre. Il faudrait donc agir très vite.

 

Close : "Nous nous mimes directement en relation avec l’entrepreneur pour obtenir, chose essentielle, termes et délais et éviter ainsi qu’il commençât son travail de démolition... Nous lui répétâmes que le château de Fagnolle faisait partie de notre patrimoine national, que sa haute ancienneté, les souvenirs considérables qui s’y rattachent, rendaient indispensable à conservation des ruines, importantes encore par qui subsiste comme construction et comme architecture.

Et, cédant à nos instances, il consentit à nous accorder un assez long délai". (10)

 

Ainsi, les ruines du château furent sauvées, au moins pour un instant. Encore fallait-il que le Cercle des XV s’en occupe sérieusement pour que les ruines ne soient plus jamais menacées. C’était quoi, ce Cercle des XV ?

 

Le Cercle des XV était une association sans but lucratif, fondée le 28 juillet 1928 à Profondeville-sur-Meuse. Le but : "la protection et la glorification des sites et des monuments de l’Entre-Sambre-et-Meuse" (11).  Il y avait quinze fondateurs, par conséquent : le Cercle des XV. Ceux-ci furent de hauts personnages, comme le baron Hector de Sélys Longchamps, alors membre de la Chambre des représentants, déjà mentionné, ou Omer Lambiotte, son président, ingénieur d’Auvelais, où le siège social fut établi. Les autres fondateurs furent des industriels des environs, mais aussi de Bruxelles, et des hommes de lettres, comme le publiciste Emile Close, déjà mentionné, et Louis Corbeel, lui-même administrateur du journal l’Indépendance belge.

 

Au début, la préservation des ruines du château de Fagnolle fut la mission principale du Cercle des XV. Pour accomplir cette tâche, il faudrait tout d’abord convaincre Bastien et Kinnard.

 

Texte : AvB - Correction : Valérie



(1) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II, p. 69(2) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p. 158(3) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II, p. 69(4) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p.159(5) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II, p. 73

(6) Solange Robert - Ces Vieilles Pierres de Fagnolle, II, p. 82-83(7) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p. 158(8) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p. 159(9) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p. 159(10) Le Guetteur wallon, septembre-octobre 1928, p. 159(11) Statuts : Annexes MB 26-27 dec. 1928, n° 1053