Aliments transformés: faut-il les éviter ?

(12 février 2019)


Les «faux aliments» envahissent les magasins et les frigos. Transformés à l’extrême, certains d’entre eux seraient nocifs et sources de nombreuses maladies chroniques. Mais ces produits sont-ils pour autant tous synonymes de malbouffe ? À la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain, on planche sur des solutions privilégiant la santé et le respect de l’environnement.

 

Ils pullulent dans les rayons des super­marchés. Depuis les années 80, les aliments ultra transformés se sont multipliés. À tel point qu’ils atteindraient aujourd’hui jusqu’à 50% de l’offre proposée dans les grandes surfaces. Des «faux» aliments dissimulés parmi les «vrais» ? Nous en consommons tous les jours: céréales, yaourts, jus de fruits, soupes de légumes,… Des aliments réputés «sains», créés de toute pièce par l’industrie agroalimentaire, tellement transformés qu’ils en ont perdu une partie de leurs qualités nutritionnelles. Pour compenser, des additifs et des conservateurs y ont été ajoutés. Pour le Dr Anthony Fardet, chercheur en nutrition préventive et auteur du livre Halte aux aliments ultra transformés ! Mangeons vrai, on les reconnaît à la liste des ingrédients qui les composent, souvent interminable et incompréhensible pour le consommateur lambda.

 

Selon lui, l’objectif de l’industrie alimentaire serait ainsi de «fabriquer à bas prix des produits qui ressemblent à des aliments, qui ont le goût d’aliments… mais qui ne sont pas des aliments. Les ingrédients qui entrent dans leur composition proviennent de l’ultra transformation d’aliments bruts, ce qui me fait dire que nous n’avons jamais autant maltraité nos aliments qu’aujourd’hui. Ces produits ultra transformés sont des aliments non identifiés pour notre organisme. Ils sont à l’origine de l’explosion de l’obésité, du diabète et de toutes les maladies chroniques qui en découlent».

 

Décomposer et ré-assembler

 

Ces produits sont issus d’un processus de réductionnisme, ou «cracking». Le principe consiste à décomposer des aliments en ingrédients qui, une fois assemblés, permettent de créer d’autres aliments. «Le réductionnisme a amené les technologues à fractionner les aliments puis à isoler des ingrédients pour les recombiner ensuite en ajoutant sel, matières grasses, sucres simples et de nombreux additifs, afin de leur redonner le goût, la couleur et la texture qu’ils ont perdus suite au procédé de fractionnement-recombinaison des aliments d’origine», explique Anthony Fardet.

 

Exemple: le blé peut être décomposé en farine blanche, germe, son, gluten, amidon de blé, amidon modifié de blé, sirop de glucose, dextrose… Avec ces ingrédients, «on a pu fabriquer du pain de mie complet: l’industriel prend de la farine blanche à laquelle il ajoute un peu de son et du gluten, précise le nutritionniste. Il reconstitue donc artificiellement la farine de blé complète. Il y ajoute de l’huile, du sucre, de la levure et le tour est joué». Inconvénient: les produits ainsi obtenus ont perdu leurs qualités nutritionnelles dans l’opération.  

 

Même les jus de fruits sont parfois victimes d’une ultra-transformation. Le produit brut, disons une pomme, peut être transformé pour être consommé en compote ou en jus pressé, une transformation «saine», qui modifie néanmoins sa texture et donc son effet rassasiant. Mais on peut aussi trouver des jus industriels de légèrement transformés à ultra-transformés: ces derniers ont perdu leurs vitamines et minéraux et sont produits à base de concentré ou de poudre déshydratée à laquelle on ajoute de l’eau, du sucre et des additifs.

 

Artisanal vs. industriel ?

 

Faut-il dès lors rejeter la nourriture industrielle ? Est-elle synonyme de malbouffe ? «Il faut cesser d’opposer artisanal et industriel», insiste Yvan Larondelle, professeur de biochimie et de nutrition à la Faculté des bioingénieurs (AGRO Louvain) de l’UCLouvain. «Le plus sain n’est pas toujours celui qu’on croit. Bien des consommateurs associent automatiquement industriel avec moins bon. Or c’est parfois faux. Prenons par exemple un produit bio, si le processus de transformation qu’il subit est mal géré, cela risque bien d’aboutir à un produit de mauvaise qualité. La nourriture artisanale est parfois médiocre, même si elle est produite à petite échelle, tandis qu’il y a des aliments industriels intéressants aux niveaux nutritionnel et gustatif.» Et de reprendre l’exemple du jus de pomme. «Certaines personnes vont le faire à la maison, avec des pommes du jardin. Mais les fruits ne seront peut-être pas bien nettoyés ou mal triés. Or les pommes un peu pourries peuvent contenir de la patuline, une mycotoxine qui peut induire de nombreux effets négatifs pour la santé, voire même être cancérigène. Un procédé industriel va par contre inclure un contrôle très strict permettant d’écarter les pommes présentant une zone pourrie. Par ailleurs, il est tout à fait absurde de prétendre que les jus de pomme industriels ont perdu toutes leurs vitamines et minéraux».

 

Et s’il faut se méfier des additifs, certains seraient néanmoins bénéfiques pour la santé. «Je pense par exemple aux composés phénoliques, utilisés comme colorants naturels. Ils contiennent des anthocyanines qui ont des effets positifs, notamment dans le domaine des risques cardio-vasculaires».

 

Séparer le bon grain de l’ivraie

 

Pour Yvan Larondelle, pas question de rejeter en masse les aliments transformés, qui répondent à une demande de la société. Mais le chercheur n’affirme pas non plus qu’on peut les consommer sans se poser de question: il faut faire la part des choses. «Certains aliments élaborés sont réellement intéressants. D’autres sont plein de conservateurs et pauvres en nutriments et donnent surtout un plaisir de courte durée. Même si leur prix semble raisonnable, ces aliments sont très chers par rapport à ce qu’ils apportent au niveau nutritionnel nutritionnel. Certaines céréales du petit déjeuner, par exemple, n’ont rien à voir avec des céréales. Il y a bien une base, oui, mais on y a rajouté tellement d’arômes, de graisses ou de sucres qui n’ont rien à y faire… Ce sont des produits horribles à ne pas manger ! Si on compare un bol de ces «céréales» à une tartine de pain complet, la tartine reviendra beaucoup moins cher et sera beaucoup plus équilibrée».

 

Il le constate: une des tendances actuelles fait la part belle à la cuisine traditionnelle. «Dans ce cas-là, les personnes recherchent des ingrédients de base non transformés. Par contre, ces mêmes personnes n’ont pas nécessairement le temps de cuisiner tous les jours, et elles souhaitent alors quelque chose de rapide, comme des repas préparés, si possible acceptables d’un point de vue gustatif et nutritionnel. Les attentes des consommateurs sont donc multiples et variables d’un jour à l’autre. Et il n’y a pas de secret: des repas préparés en industrie, longtemps à l’avance et/ou loin du lieu de consommation, nécessitent l’utilisation de technologies, ne fût-ce que pour la conservation des qualités sanitaires et gustatives du départ. En plus, tout cela n’est pas gratuit, mais c’est le prix à payer pour la rapidité et le confort».

 

Quant au budget «alimentation» des ménages, il ne fait que se réduire. «Au début du 20e siècle, nos aïeux consacraient environ 50% de leurs revenus à l’alimentation. Aujourd’hui, on en est aux alentours de 13%. On pense que l’alimentation coûte cher alors qu’elle est proportionnellement bien moins chère que par le passé. Cette impression vient probablement du fait que l’évolution de notre mode de vie a généré de nombreux nouveaux besoins qu’il faut financer. Et c’est souvent notre alimentation qui en pâtit. Mais en tout cas, en regard de leur densité nutritionnelle, les produits hautement transformés coûtent plus cher que les ingrédients simples cuisinés à la maison. Chacun devrait pouvoir faire ses choix de vie en connaissance de cause, mais il a malheureusement de nombreux consommateurs qui manquent d’outils scientifiques pour faire la part des choses entre les données scientifiques démontrées et les affirmations caricaturales et fantaisistes de certains nutritionnistes en mal de vente de bouquins à sensation».

 

Dans ce cadre, il faut s’attendre à voir évoluer les tendances alimentaires. «Je pense que l’alimentation du futur combinera 2 tendances lourdes souvent partagées par les mêmes consommateurs: d’une part une utilisation croissante de produits élaborés faciles à consommer et si possible bien réfléchis au niveau nutritionnel, et d’autre part la valorisation de produits de base, souvent achetés au niveau local et préparés à la maison».

 

Pas tous dans le même panier

 

Dans son laboratoire de Louvain-la-Neuve, l’équipe du professeur Larondelle planche sur le développement de nouveaux produits. «Notre ambition est de proposer de nouveaux aliments, parfois fortement transformés par rapport aux ingrédients d’origine, mais toujours élaborés de manière durable et peu coûteuse au niveau environnemental, et caractérisé par une forte densité nutritionnelle. Il est tout à fait possible de concevoir et développer des nouveaux produits élaborés mais sains et utiles pour donner de la valeur ajoutée à des matrices alimentaires traditionnelles locales».

 

C’est notamment dans ce contexte qu’un nouveau doctorat vient d’être lancé pour évaluer la faisabilité de la conversion de coproduits de la fabrication de jus de fruits et légumes locaux en aliments complets, faciles à consommer et optimisés au niveau nutritionnel. «Il s’agit de concevoir des aliments élaborés, mais parfaitement équilibrés en termes de protéines, lipides essentiels, vitamines, minéraux et fibres alimentaires. L’idée est de donner par ce biais une valeur ajoutée aux ingrédients de base produits par les activités maraîchères locales. Nous voulons en plus ajouter à nos produits des nutriments spécifiques et des composés bioactifs naturels ayant des vertus intéressantes par rapport à la santé». Plus de détails lorsque les recherches seront plus avancées. Mais l’ambition est clairement d’associer sain, bio, durable, savoureux … et facile à manger.

 

Bref, il ne faut pas mettre tous les aliments transformés dans le même panier. Mais comment ­s’assurer de se nourrir sainement ? «Il n’y a pas 36 solutions… Il convient avant tout de suivre les recommandations de l’alimentation équilibrée traduite dans les fameuses pyramides alimentaires. D’autre part, il faut stimuler nos concitoyens à réinvestir dans leur alimentation. Faire redécouvrir le plaisir des aliments sains et montrer comment on les cuisine. Et lorsque le temps manque, il n’est pas interdit de se tourner vers des produits transformés choisis minutieusement sur base de critères nutritionnels et environnementaux».



Des efforts pour diminuer les sucres et les graisses

 

La Fevia (Fédération de l’industrie alimentaire belge), Comeos (porte­parole du commerce et des services) et le SPF Santé publique ont dressé en août dernier un premier bilan positif de 5 ans d’effort pour diminuer les sucres et les graisses saturées des produits transformés dont la composition est décidée en Belgique et ainsi proposer des aliments plus sains aux consommateurs.

 

Si le travail est en cours depuis 2012, il a été formalisé en 2016 par la signature d’une «Convention Alimentation Équilibrée» par le secteur et la Ministre de la Santé publique, en vue de favoriser des habitudes de consommation plus saines et de lutter contre l’obésité.

 

Dans ce premier bilan, les 3 structures ont constaté que dans les produits les plus consommées, les teneurs en sucres et en graisses saturées avaient tendance à diminuer. Elles pointent notamment une réduction moyenne de 5,8% de sucre dans les céréales pour petit-déjeuner entre 2012 et 2017, et de 7% dans les sodas. Les teneurs en graisse saturée des biscuits et des produits de chocolat ont quant à elles respectivement diminué de 3,2% et 1,2% en 5 ans.

 

Les partenaires notent également que des efforts ont également été faits au niveau de la communication et du marketing des produits désormais tournés vers la promotion d’une alimentation plus saine, tandis que les portions de certains produits ont été réduites. L’objectif est de poursuivre ces travaux jusque 2020 au moins, comme le prévoit la convention.

 

Si l’association de consommateurs Test-Achats salue la démarche, elle regrette qu’elle n’aille pas assez loin. «Ces efforts sont les bienvenus, mais ils doivent être plus significatifs», a-t-elle réagi. Et ce, d’autant que «l’autorégulation seule par les entreprises et les fabricants est absurde. Il faut un organisme indépendant des entreprises pour être certain de l’objectivité des résultats».

 

Elle constate des taux de sucre en baisse, certes, mais les chiffres sont à relativiser car la diminution est notamment due à une augmentation de la proportion de produits light ou zéro sur le marché, «sans pour autant que les produits dits « mauvais » ne disparaissent». Plus globalement, elle plaide pour une amélioration de la qualité nutritionnelle des produits, ainsi que pour une meilleure communication autour du «manger sain».

 

De plus, l’association en appelle à la mise en place d’un «Nutri-score», un code couleurs sur les emballages permettant de rendre l’information nutritionnelle la plus lisible possible pour le consommateur. Ce label tient compte des paramètres positifs (fibres, protéines, fruits et noix) et négatifs (kilocalories, acide gras saturés, suces et sel) permettant d’évaluer la valeur nutritionnelle. L’idée fait son chemin, le distributeur Delhaize commence en tout cas à l’appliquer. 



Anne-catherine De Bast - ©Vlaams Instituut Gezond Leven 2017

Article paru dans le mag scientifique Athena n° 339  (novembre-décembre 2018). Reproduit avec permission.