1830, la Révolution belge à Philippeville

publié le 3 mars 2016


1. Paris-Bruxelles

 

Il était une fois Paris : les ‘Trois Glorieuses’ journées. Durant ces trois jours de juillet 1830, les Parisiens se révoltèrent contre les ordonnances de Charles X, roi de France, diminuant les libertés de presse et le pouvoir des politiciens libéraux en sa faveur. Ces ordonnances furent prises le dimanche 25 juillet et publiées le lundi 26 juillet. Le 27, 28 et 29 juillet, les Parisiens dressèrent des barricades dans les rues et opposèrent les forces miltaires. En dépit de centaines de morts, ils furent victorieux. Le roi Charles X fuit Paris et fut remplacé par Louis-Philippe I, ‘le roi des Français par la volonté nationale’ (1).

 

Ces évènements inspirèrent d’autres peuples : des barricades pouvaient changer le monde !

 

"Et Bruxelles apprend ainsi que le soulèvement populaire, et de solides barricades, peuvent avoir de raison de troupes régulières. Bruxelles, où, aux griefs d’ordre politique que l’on a contre Guillaume de Hollande, s’en ajoutent bien d’autres, relatifs à l’emploi de la langue néerlandaise, et à la discrimination dans tous les domaines en faveur des Hollandais."(2)

 

Après la défaite de Napoléon en 1815, par le deuxième traité de Paris, la Belgique fut confiée à Guillaume d’Orange-Nassau, prince souverain des Pays-Bas. Le régime de, dorénavant Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, avec ses discriminations, ses limitations de liberté, combinées avec une situation économique défavorable, furent des facteurs importants de mécontentement  pour beaucoup de citoyens et de politiciens belges. Durant le mois d’août 1830 des voix d’opposition furent de plus en plus entendues à Bruxelles.

 

"Des billets, distribués le 22,  annoncèrent le programme suivant : ‘Lundi, 23 août : feu d’artifice ; mardi, 24 : illumination ; mercredi, 25 : révolution ! En vérité, c’était là une prophétie plaisante et sinistre à la fois, simple témoignage de l’état d’ébullition des esprits."(3)

 

À cause des troubles, les autorités annulèrent entre autres le feu d’artifice (23 août) et les illuminations prévus pour l’anniversaire du roi Guillaume (24 août), mais autorisèrent la représentation de l’opéra « La Muette de Portici » au théâtre de la Monnaie le 25 août, précédemment interdite après une soirée d’agitation. L’opéra, avec ses allusions à l’amour de la liberté et du sol natal, sonna alors le début de la révolution belge. Les autorités ne furent plus capables d’arrêter les émeutiers qui se répandaient dans la ville, dont beaucoup assistèrent aux pillages et au vandalisme. Pour rétablir l’ordre, la bourgeoisie créa une garde bourgeoise, indépendante des autorités.

 

Apprenant les évènements de Bruxelles, un peu partout dans les villes de Belgique, des ‘gardes bourgeoises’ ou ‘commissions de sûreté’ furent établies, afin d’essayer de prendre la sécurité en main, d’éviter des pillages et de contrarier le roi Guillaume.

 

La manifestation du 25 août 1830 et l’émeute à la monnaie. Remarquez l’affiche : "Lundi: feu d’artifice ; mardi : illumination ; mercredi : révolution" (collection privée).

 

2. Philippeville

 

A Philippeville non plus, les habitants n’étaient pas du tout contents de la politique des autorités hollandaises. "Après tout, c’est bien malgré eux (les Hollandais) qu’après Waterloo les Philippevillains, citoyens français à part entière, sont devenus sujets – sujets de seconde zone d’ailleurs, parce que Wallons - du roi Gauillaume des Pays-Bas."(4)

 

Pas seulement pour calmer les Philippevillains (1200 dans le temps), mais aussi les militaires de la garnison de la place forte (presque 1000 hommes dont une grande majorité Namuroise et Luxembourgeoise), le colonel Hilvaart Theodorus van Teylingen van Hilvarenbeek, 50 ans, fut envoyé à Philippeville le 28 août, trois jours après la représentation de l’opéra La Muette de Portici à Bruxelles.

 

Comme le formula le colonel van Teylingen : "Très vite, j’ai eu la conviction que beaucoup de militaires de rang inférieur d’officiers (en principe : pas Hollandais), qui à cause de la langue et à cause d’un séjour de longue durée dans la ville, s’entretenaient trop avec ceux de la population qui voulaient du mal."(5)

 

Malgré une plus grande vigilance le colonel hollandais n’a pas pu prévenir la distribution et l’affichage le 10 et 17 septembre des proclamations incitant les militaires à se révolter et de déserter. L’attribution de 50 florins (environ : 455 euro aujourd’hui) à celui qui dénoncerait un citoyen ou un militaire n’ayant pas le résultat escompté, le colonel van Teylingen décida de se faire respecter et de se montrer à cheval devant ses soldats. Maladroitement, en montant son cheval blanc, le colonel se blessa le pied droit et dut par conséquence garder le lit pour plus de huit jours.(6)

 

On peut bien imaginer qu’une telle démarche n’impressionnait pas trop les soldats, ni les Philippevillains.

 

3. Bruxelles - Philippeville

 

Entre-temps à Bruxelles. Le 23 septembre une armée hollandaise forte de 12.000 militaires entrait Bruxelles. La plupart des chefs de la ‘garde bourgeoise’ fuyait Bruxelles, tandis que le peuple construisait des barricades et continuait le combat. La résistance fut violente et furieuse. Le jour suivant, les principaux dirigeants de la garde bourgeoise et de la politique revinrent à Bruxelles et fondèrent une ‘Commission administrative’ à l’hôtel de ville. Du 26 au 27 septembre, à cause de la retraite des troupes hollandaises, cette commission fut transformée en ‘Gouvernement provisoire de la Belgique’.

 

"Entre-temps, les nouvelles de province annonçaient qu'un peu partout les soulèvements en faveur de la sécession triomphaient. Après Bruxelles et Liège, Anvers et Gand furent même le théâtre de véritables combats, tandis que des volontaires accouraient des campagnes."(6bis)

 

Les bruits couraient aussi à Philippeville.

 

"Et du 23 au 27, c’est-à-dire pendant que l’on se battait à Bruxelles, le colonel van Teylingen nota le départ de ‘beaucoup’ d’habitants de Philippeville et des villages voisins pour la capitale..."(7)

En effet, l’aube du vendredi 24, le lendemain de l’entrée de l’armée hollandaise à Bruxelles, 15 Philippevillains et 37 citoyens des villages avoisinants, se dirigeaient vers Bruxelles. Ils avaient des fusils et de la poudre. Cette compagnie de 52 hommes arriva à Bruxelles à 10 heures du soir, après une marche de 85 km. "La réception bruyante et enthousiaste des Bruxellois, leurs cris de « vive la liberté, vive Philippeville », ne sortiront jamais de ma mémoire", écrivit plus tard Jacques Burck, ancien officier de Napoléon, un des initiateurs.(8)

 

Le colonel van Teylingen se faisait des soucis, car il voyait bien que tant de citoyens de Philippeville et environs ‘disparaissaient’ soudainement.(9)

 

Le 28 septembre un message de la hiérarchie militaire hollandaise, concernant les évènements dramatiques à Bruxelles, faisait le bon temps dans le camp hollandais à Philippeville. Ce message, probablement annonçant qu’une armée forte de 12.000 entrerait Bruxelles, rassurait le colonel.

 

Mais le 29 septembre un autre groupe de citoyens partait pour Bruxelles. Après 85 km, ceux-ci arrivaient à Bruxelles à 9 heures du soir...

 

La bonne humeur du colonel disparut complètement ce matin du 29. Un exemplaire du Journal de la Belgique, daté du 28 septembre, lui fut apporté. Il y lut, sans doute consterné, une proclamation émanant du Gouvernement provisoire belge :

"Braves militaires belges, depuis trop longtemps vous êtes sacrifiés à la jalousie des Hollandais, qui non contents de s’emparer de tous les grades, saisissent toutes les occasions de vous humilier et de vous maltraiter. Le régime odieux de partialité et d’injustices de toute espèce qu’ils ont fait peser sur la Belgique ne vous a que trop longtemps opprimés.

Braves soldats, le moment est venu de délivrer notre patrie du joug que fait peser sur nous cette nation dégénérée. Ils ont donné eux-mêmes le signal de la séparation."

 

Les simples soldats, ces petits flamands, ces petits wallons, ces petits belges souffrirent fort du régime militaire discriminatoire des hollandais. Juste un exemple : la bastonnade, abolie en France en 1789 fut remise en vigueur par les hollandais. En plus, on se souvenait du temps de la Révolution française avec ses droits, ses libertés et ses déclarations des droit de l’homme et du citoyen, comme l’article 2 le stipulait : "Ces droits sont : la liberté... et la résistance à l’oppression".

 

Et pour continuer la proclamation dans le Journal de la Belgique:

"Le sang belge a coulé : il coule encore par les ordres de celui qui a reçu vos serments. Cette effusion d’un sang généreux a rompu tous liens ; les Belges sont déliés, comme nous les délions, de tout serment.

Que tous les Hollandais qui sont dans vos rangs en sortent et rentrent dans leurs foyers ; la nation belge est assez forte et trop généreuse pour user de représailles.

Braves soldats, continuez de vous ranger sous nos drapeaux : le nom de Belge ne sera plus un motif d’injustice, il deviendra bientôt un titre de gloire".(10)

 

Le colonel van Teylingen : "ces nouvelles se répandirent comme une traînée de poudre dans la petite ville... L’arrestation d’un sous-officier déserté mit de l’huile sur le feu. Tout cela  provoqua des attroupements séditieux de militaires et de civils"(11). Beaucoup de civils envahirent la Grand-place (la Place d’Armes) armés "de fusils, de pistolets, de fourches ou de faux, et se mirent à crier :’A bas les Hollandais’"(12)

 

La Grand-place ou Place d’Armes en 1830 (d’après A. Bikar, 1967).

 

Pour éviter la catastrophe, J.B. Fosse, le commissaire belge du district, se rendit vers van Teylingen pour lui demander de se rendre.

 

Le colonel fut furieux : ‘battre le général !’, signifiait que les troupes devraient se rassembler sur la Grand-place et devraient fermer les deux portes d’entrée de la ville, celle de Namur et celle de France. Le colonel décida d’inspecter l’exécution de ses ordres: "A cause de sa chute de cheval le 11 septembre, j’avais difficile à marcher et j’étais donc obliger de monter à cheval. Intentionnellement, à l’entrée de la rue de France, je me dirigeai à allure de marche vers et à travers un groupe de citoyens en disant : ‘Mes amis, ceci ne vous regarde pas ! Il me semble que vous devriez rentrer chez vous’. Les citoyens me huaient : ‘Oui, cela nous regarde ! Cela nous regarde !"(13)

 

Parmi ces citoyens agités, van Teylingen reconnut entre autres le Philippevillain Pierre-Guillaume Seron, 57 ans à l’époque, "qui refusa toujours à avoir le moindre rapport avec moi", comme écrivit plus tard le colonel. Ce ‘vieillard’, républicain et libéral juré, fut un personnage très bien connu par van Teylingen et par les autorités hollandaises.(14) À l’âge de 18 ans déjà, Seron décidait de servir la République française et surtout ses idées de liberté. Il partit pour Paris et y devint fonctionnaire au ministère de la Justice. Deux ans plus tard Seron s’enrôlait dans l’armée de la République. Hélas, en 1796, à l’age de 24, il dut retourner à Philippeville à cause d’une maladie grave. Une fois rétabli, Seron se jeta dans l’administration publique. En 1815, après la débâcle de Napoléon à Waterloo, ce Philippevillain se trouvait à la tête des citoyens qui aidaient les soldats français à défendre la ville contre les Prussiens. Ils ont tenu presque un mois et demi. A cause du deuxième traité de Paris (20 novembre 1815), les Hollandais devinrent alors les maîtres de sa ville natale, ce qui fut un choc, car le plus ardent de ses voeux était de voir la République ‘se baigner dans le Rhin’.(15)

 

Le colonel van Teylingen savait donc très bien qu’il ne pouvait pas compter sur la loyauté de Seron et commencait à se faire des soucis. "Le Hollandais continuait vers la Porte de France – fermée, mais non sans peine, car beaucoup de paysans accouraient des environs- puis se dirigeaient vers la caserne d’infanterie, espérant y trouver le bataillon rassemblé et en armes, prêt à partir vers la Grand-place."(16) Mais van Teylingen se sentait très déçu : la confusion y régnait. Tout-à coup un feu de salve se fit entendre, probablement de la Grand-place. Le colonel, devenu très impatient, essaya de rassembler ses troupes d’infanterie pour se diriger par la rue de la Balance vers la Grand-place.

 

Le suspense s’intensifiait : que s’était-il donc passé à la Grand-place ?

 

Les nouvelles de Bruxelles parues dans ‘Le Journal de la Belgique’ y causaient un rassemblement de civil et de militaire. Ils se disputaient, des soldats belges désertaient. C’était la confusion totale. Un officier hollandais voulant désarmer un soldat belge, fut arrêté par le Philippevillain François Pariset, fourrier à la compagnie d’artillerie. Le Belge força l’Hollandais à retourner le fusil. C’était la révolte !

 

Dès le moment où van Teylingen battait ‘le général’, les artilleurs, presque tous Belges, se tournèrent contre leurs deux officiers, dont un Allemand, et les chassèrent vers les ramparts, criant "Vive les Belges" ! Après, les artilleurs et cannoniers suivirent Pariset vers l’arsenal, où se trouvaient des canons. En passant par la Grand’place, Pariset et ses soldats rebelles, suivis des civils armés, ne furent pas arrêtés par la garde hollandaise, ce jour-là commandée par le capitaine Belge Bouvier, qui peu avant jurait allégeance au colonel. Arrivés à l’arsenal, les rebelles y forcèrent les portes. La garde de l’arsenal n’intervint pas, au contraire, elle tira en l’air, la salve que van Teylingen avait entendu. Avec deux canons les artilleurs se dirigèrent vers la Grand-place et se postèrent à l’entrée de la Rue de l’Église. Comme cela ils visaient l’autre côté de la place : l’entrée de la Rue de la Balance. Venant de la caserne de l’infanterie, par la Rue de la Balance, l’ennemi hollandais et ses fantassins furent attendus. Les artilleurs revoltés et les civils armés craignirent que l’appel du Gouvernement provisoire belge ne soit pas suivi par les fantassins, car dans ces rangs se trouvaient 60 à 70 soldats helvéto-germano-hollandais. Les rebelles attendaient, prêt à tout, les canons chargés, les mèches allumées, les fusils en main. Une confrontation sanglante semblait inévitable.

 

Pendant ce temps, le colonel van Teylingen rassemblait sa compagnie de l’infanterie. Les tambours battants, le colonel, à cheval, mena alors ses hommes par la Rue de la Balance et arriva sur la Grand-place. L’Hollandais ordonna de ‘croiser les baïonnettes’ et de se rendre maître de la place et des canons.

 

Les adversaires n’etaient séparés que de quelques dizaines de mètres !

 

Emis en 1952 (collection privée)

 

Van Teylingen : "Au moment où l’ordre d’attaquer fut donné, quelques fantassins tirèrent en l’air, subitement suivis par d’autres. Une grande confusion régna, causant trahison et insubordination aux officiers. Tout cela se passa en un instant."(17)

 

D’abord, il faut savoir que tirer en l’air avec ces baïonnettes avait pour conséquence que les fantassins devenaient quasi-inoffensifs, car le rechargement prenait trop de temps et ne pouvait pas se faire en marchant. Les soldats refusaient donc d’obéir !

 

C’était alors que le Namurois Charles Thirionnet, brigadier des douanes et ancien caporal des Grenadiers de la Garde Impériale sous Napoléon, avança vers le colonel, s’empara des rennes du cheval et l’obligea à descendre, exigeant de se rendre.(18) Thirionnet reçut un coup d’épée sur la tête et tomba ensanglanté. Furieux, l’instituteur Nicolas Jentien s’approcha du colonel. Ce citoyen "me donna un formidable coup de poing dans la poitrine, qui me coupa le souffle, me disant : ‘tu as frappé un bourgeois’", comme écrivit plus tard le colonel. (19) En même temps par derrière un soldat lui donna un coup de baïonnette qui lui atteignit les poumons. Le colonel tomba à terre, grièvement blessé. Pendant cet évènement dramatique, le capitaine hollandais Van Der Poel réussit de s’emparer d’un canon, mais ses hommes refusèrent de lui obéir et le frappèrent d’un coup de la crosse d’un fusil sur la tête. Alors, Thirionnet, blessé lui aussi, parvint à désarmer le capitaine.

 

Ces actions contre le colonel et contre le capitaine "firent prendre la fuite à tous les officiers hollandais et décidèrent les soldats à tirer en l’air".(20) La confusion fut indescriptible. Néanmoins, ce 29 septembre la victoire était acquise en faveur des Belges. La confusion régnait encore dans la nuit. Mais le lendemain, le 30 septembre, une Commission de sûreté et une Garde bourgeoise furent installées.

 

Immédiatement la garde des magasins militaires où se trouvaient les canons et la poudre fut assurée. Heureusement,  beaucoup de miliciens quittèrent la ville pour rentrer chez eux. Par hasard, ce même 30 septembre fut la date où beaucoup d’entre eux se trouvaient en congé illimité ou congé de semestre. Il ne restait que 150 militaires. À 14h30 le colonel van Teylingen, soigné par des Philippevillains, se rendait enfin et transférait la commande au capitaine belge Bouvier. La fin des Hollandais !

 

De même à Bruxelles : le 30 septembre le pouvoir était dans les mains de la Garde bourgeoise et du Gouvernement provisoire de la Belgique.

 

Plan de Philippeville,  dessiné par le colonel van Teylingen (nous n’avons que retrouvé deux-tiers du plan), complèté (l’autre tiers à droite) par le dessin du major A. Bikar, datant de 1967. Trouvez la traduction de l’écriture de van Teylingen également à droite.

En bas : l’échelle, comme van Teylingen la présentait. Il faut savoir qu’en Hollande (et donc aussi en Belgique), le système métrique fut introduit en 1820, dix ans avant les évènements décrits. Entre-temps les anciens noms de mesures de longueur restaient en vigueur. Van Teylingen nota : "Échelle de 5 Roeden (1 Roede = 10 mètres) / decamètre sur le Pouce (1 Pouce = 1 cm)".

 

4. Le sort des Hollandais

 

Beaucoup d’hommes de l’armée hollandaise subirent des blessures légères. Quatre officiers hollandais furent grièvement blessés : le colonel van Teylingen et le capitaine Van der Poel, comme on l’a vu, et le capitaine Steenhardt, la jambe brisée par une pierre, et le sous-lieutenant Bross, décédé plus tard à Tournai.

 

"Tous les sous-officiers hollandais et hommes de troupe germano-helvéto-hollandais furent expulsés de Philippeville et abandonnés à leur sort", comme l’écrivit le colonel.(21) Les officiers, rassemblés et déclarés prisonniers, devaient être protégés contre leurs propres hommes. Sous une escorte de la Garde bourgeoise ils furent transférés à Namur et plus tard à Tournai. Il faut dire que cette escorte de 30 hommes protégeait les Hollandais contre des Namurois furieux, qui voulaient venger leurs morts. Plus tard ces Hollandais remercièrent les membres de la Garde bourgeoise dans une publication du journal 'L’Emanicipation'. (22)

 

Trois officiers restèrent à Philippeville : van Teylingen et le capitaine Steenhardt, tous les deux blessés et intransportables, et leur soigneur, l’officier de santé von Kriss. Ils seraient repatriés vers l’Hollande dès janvier 1831, sur parole d’honneur de ne jamais plus se tourner vers la Belgique. Ce qu’ils acceptèrent.

 

Le colonel Hilvaart Theodorus van Teylingen van Kamerik, seigneur d’Hilvarenbeek, nommé plus tard général-major de l’armée du Royaume des Pays-Bas, loué pour son "héroïsme" à Philippeville, décedait à Utrecht en 1865 à l’âge de 84, sans enfant.

 

5. Le sort des Philippevillains

 

Dorénavant les Philippevillains étaient des citoyens belges.

 

Un canonnier fut mortellement blessé d’un coup de feu. Deux civils subirent des blessures moins graves. Il s’agissait de Charles Thirionnet, comme on a pu le constater, et Jules Fosse, un des fils du commissaire du district.

 

Jacques Burck, qui partait le 24 septembre pour Bruxelles avec 52 volontaires, retourna à Philippeville le 6 octobre. Il déclina le grade de commandant,  offert par le Gouvernement provisoire, et retourna vers sa brasserie. Pariset, Thirionnet, Jentien et Xavier (Alphonse) Fosse, un autre fils du commissaire du district, furent nommés sous-lieutenants. Bouvier devint lieutenant-colonel. Évidemment, tous ces militaires nommés servirent dorénavant dans l’armée de la Belgique.

 

Dix-huit ans plus tard, en 1848, on retrouve les noms des frères Fosse et Jacques Burck parmi le noyau dur des révolutionnaires belges : ‘la Légion républicaine belge’. Cette ‘Légion’, forte de 1100 à 1200 hommes non armés, inspirée par la révolution française de 1848 connue comme ‘le printemps des peuples’, envisageait d’installer une république en Belgique. En vain.(22bis)

 

Fin octobre 1830 les premières élections communales belges eurent lieu à Philippeville. Dans ces temps du suffrage censitaire, le vote était réservé aux hommes de plus de 21 ans, l'éligibilité y est conditionnée au paiement du cens. Fut élu comme premier bourgmestre de Philippeville dans l’état belge : Pierre-Guillaume Seron, le libéral et républicain juré, opposant fervent de l’occupation hollandaise. Début novembre 1830 Seron fut élu député du Congrès national et plus tard à la Chambre jusqu’à sa mort en 1840. Le Philippevillain y défendit les idées libérales de la Révolution française de 1789,  lutta pour les droits de l’homme, pour les droits des travailleurs, pour la séparation des églises et de l’état, ... Son premier discours au Congrès national fut très représentatif. Lors de la discussion sur la forme d’état, république ou monarchie, Seron monta à la tribune et déclara : "N’oublions pas que les rois, mangeurs d’hommes, selon Homère, sont réellement de grands consommateurs qui ne produisent rien ; qu’il faut aussi des apanages et des revenus à leurs fils, des dots à leurs filles..." Le choix du Congrès national fut la monarchie. Ou encore fin 1832 : "Que le Lion de Waterloo tombe et disparaisse ! Que les armées françaises accourant à votre secours, à la défense de vos foyers, ne rencontrent plus sur leur passage ce signe qui ne peut rappeler que d'odieux souvenirs."(23)

 

Comme anecdote, encore ceci. Seron s’opposa aux ‘mariages anglais’, devenus populaire à Cerfontaine et environs : pour échapper au service militaire les futurs conscrits se marièrent avec des veuves âgées à qui on payait une somme d’argent.(24)



(1) père de Louise-Marie, la première reine des Belges, dont sa statue se trouve à Philippeville – lisez plus : http://villagelaforet.jimdo.com/reine-ou-puits/

(2) La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(3) Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830, Frans Van Kalken, Bruxelles, J. Lebègue & cie, 1910, p. 121

(4) La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(5) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(6) Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(6bis) Wikipedia.

(7) La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(8) idem

(9) Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(10) Bruxelles, le 26 septembre 1830, signé: baron Vanderlinden d’Hooghvorst, Charles Rogier, avocat à la Cour de Liège, comte Félix de Mérode, Gendebien, avocat à la Cour de Bruxelles.

(11) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(12) La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(13) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(14) Pierre-Guillaume Seron : selon certaines sources Seron était né le 28 juin 1773, selon d’autres : 28 juin 1772, selon encore d’autres : 29 juin 1772.

(15) Revue du progrés politique, social et littéraire, 1841.

(16) La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(17) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(18) Charles Thirionnet était aussi membre de la Légion d’Honneur sous le premier Empire.

(19) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

 (20) citation de Thirionnet, dans: La Révolution de 1830 à Philippeville, André Bikar Dans : L'Antiquaire : Organe du Cercle d'études historiques Les chercheurs de l'Entre-Sambre-et-Meuse, 1967, n° 2, pp. 29-43

(21) Traduction de: Verslag van het gebeurde te Philipstad, in de maand september 1830, H.T. van Teijlingen van Hilvarenbeek, 1853

(22) L’Emancipation du 5 novembre, lettre signé par 17 Hollandais en cause.

(22bis) Lisez plus : http://villagelaforet.jimdo.com/reine-ou-puits/

(23) Les discours de Pierre-Guillaume Seron ont été publiés en 1886 et réédités depuis.

(24) Dans : cahier n° 148 du Musée de Cerfontaine

Texte : AvB